Réputation: la confiance des Québécois s’effrite en dix ans
Catherine Charron|Publié le 07 avril 2022Selon le sondage Léger, Jean Coutu, qui se trouve au sommet de son palmarès, n'aurait pas fait partie du top 10 en 2013. (Photo: Roméo Mocafico)
Au cours des dix dernières années, on observe une lente, mais constante érosion de la confiance des consommateurs envers les grandes bannières pourtant bien connues du public.
C’est ce qui ressort de la 25e édition du sondage Réputation mené par Léger auprès de 17 221 Québécois, entre la mi-décembre 2021 et janvier 2022.
«Normalement quand on fait l’analyse, on regarde ce qui s’est passé par rapport à l’année précédente. Cette fois-ci, il n’y avait rien de spectaculaire», raconte en marge de la publication du rapport le vice-président exécutif de Léger, Christian Bourque.
Il souligne que les sociétés les plus réputées dans cette édition ont toujours flirté avec le sommet, et que les principaux changements s’expliquent par des éléments contextuels. Par exemple, Poste Canada – dont la renommée s’est longtemps retrouvée parmi les 20 meilleures – reprend du gallon après avoir glissé dans la précédente édition du palmarès, 2020 ayant écorché l’image des entreprises de courrier à cause des délais de livraison, rappelle Christian Bourque.
Or, le portrait a grandement évolué au cours de la dernière décennie, nuance-t-il. «On le dit un peu à la blague, mais il y a une décote d’amour, tout le monde recule de 7 à 8 points entre 2013 et 2022».
En effet, le score de 84 points de Jean Coutu, qui se trouve aujourd’hui sur la première marche du podium, ne lui aurait pas permis de faire partie du top 10 en 2013. Sur cette même période, la baisse médiane du top 50 est de 8 points à l’échelle du pays, alors qu’elle est de 7 points au Québec, et ce, peu importe la perspective employée par l’équipe de Léger pour analyser ces données.
Ces chiffres sont un dur coup pour les entreprises, selon Éric Chalifoux, directeur de recherche sénior et responsable de l’étude Réputation, qui souligne que depuis 2008, la méthodologie utilisée pour calculer la notoriété de chaque organisation n’a en rien changée. Pour avoir un très haut score, la société doit être très connue et ne pas s’attirer de détracteurs.
Si la part d’opinion positive a dégringolé, ce n’est pas pour alimenter le niveau d’opinion négative, qui est demeuré somme toute similaire à ce qui était observé en 2013. Davantage de répondants indiquent plutôt qu’ils ne sont pas assez familiés avec l’entreprise en question pour se prononcer. «On ne donne plus le Bon Dieu sans confession. Il y a plus de méfiance à l’égard des corporations», résume Éric Chalifoux.
Moins fervent amateur des marques – comme le témoigne la baisse de l’attachement, le pilier le plus ébranlé des six évalués par Léger – le client est donc moins prompt à accorder son approbation à une bannière, comme il l’aurait fait auparavant. Le «wait and see» est maintenant à la mode, observe Christian Bourque.
Et ce changement coïncide avec l’adoption massive de différents moyens de communication, comme les réseaux sociaux. C’est l’apparition d’un nouveau paradigme pour ces sociétés dont la réputation et la notoriété étaient pourtant bien établies depuis de nombreuses années.
«La nature des interlocuteurs qui peuvent avoir un impact sur l’opinion qu’on a d’une entreprise est différente aujourd’hui, la quantité de points de vue divergeant sur les organisations n’existaient pas il y a dix ans ou plus», illustre le vice-président exécutif.
Se réfugier derrière un communiqué de presse, comme il y a dix ans, et ne plus avoir besoin de prendre la parole n’est plus approprié. «Le ou la PDG doit être sur les réseaux, ils ont des comptes sur YouTube et Instagram, souvent ils ont différents porte-paroles qui s’adressent à leurs différentes clientèles, sur un ton adapté, énumère Christian Bourque. […] Ça demande aussi d’avoir de l’écoute sur ce qui y est dit à notre égard.»
Les remontrances peuvent d’ailleurs laisser une dangereuse trainée de poudre derrière elles, renchérit Éric Califoux, d’où l’importance de prendre au sérieux sa présence sur les réseaux sociaux.
L’information circule aussi davantage, qu’elle soit bonne ou mauvaise, et les consommateurs, qui usent maintinrent de leur pouvoir d’achat de manière politique, tiennent à connaître le genre de citoyen corporatif qu’ils sont sur le point d’encourager grâce à leur transaction. Les deux experts estiment que leur détecteur à «spin» – pour ne pas dire de «bull shit» – est dorénavant plus sensible.
C’est donc la preuve que pour gagner «du capital de marque» les entreprises devront «apprivoiser la bête, lui accorder l’importance et la légitimité que ces réseaux sociaux ont, et d’adapter leur stratégie de communication en fonction des publiques des différentes plateformes. Elles doivent se mouler à chacun de ces médias», conseille Christian Bourque.
«Je ne pense pas que le silence soit un mode de vie, ajoute le directeur de la recherche Réputation. Tu ne peux pas passer ton tour, tu dois te montrer – sur ton meilleur jour idéalement. Certes, ne pas être présent n’est pas aussi dommageable [pour la marque] que de l’être pour de mauvaises raisons, mais ça contribue à la méfiance. Le client se dit qu’il doit y avoir anguille sous roche.»