L’adoption de l’impression 3D a connu un fort emballement initial et doit maintenant miser sur son agilité. (Photo: courtoisie)
MATÉRIAUX AVANCÉS. Avec 35 % des ventes mondiales, les États-Unis représentent le premier marché pour la fabrication additive, loin devant la Chine (11 %), le Japon (9 %) et l’Allemagne (8 %), selon le rapport annuel de Wohlers Associates. Le Canada n’occupe, pour sa part, qu’une place mineure (2 %).
«Nous avons recensé une quarantaine de mesures et de stratégies nationales dans le monde qui sont liées à l’impression 3D depuis 2012. Toutefois, au Québec ou au Canada, nous n’avons pas de politique nationale spécifique ni d’organisation ou de structure pour défendre le secteur», constate René Poirier, économiste et analyste principal à Innovation, sciences et développement économique Canada. Une des 14 mesures proposées dans le «Livre blanc sur la fabrication additive au Québec» est d’ailleurs la création d’un carrefour québécois en la matière. «Il faut trouver la façon de fédérer un peu plus les gens, cela aurait une forte valeur ajoutée», recommande Marie-Pierre Ippersiel, PDG du Pôle de recherche et d’innovation en matériaux avancés (PRIMA) du Québec.
L’écosystème québécois de l’impression 3D compte près de 200 entreprises et organismes. Une soixantaine de sociétés dans la production de matériaux, d’équipements, de logiciels ou de services (la moitié est à Montréal et compte moins de cinq ans d’existence, et les trois quarts ont moins de 100 employés). Du côté de la demande, plus de 80 entreprises ont fait l’apprentissage de la fabrication additive depuis 2015 et au moins 44 organisations appuient l’impression 3D sur les plans de la R-D, de l’adoption technologique et du développement de compétences.
«L’écosystème est morcelé, selon Mélissa Després, chef de programme, AMP Fabrication et systèmes de produits métalliques pour le Conseil national de recherches Canada (CNRC). Dans certains secteurs, comme les matières premières et les poudres métalliques, il y a une forte présence. Dans d’autres, c’est nettement moins le cas.» Par exemple, la province compte très peu d’équipementiers et de fabricants d’imprimantes 3D, hormis Aon 3D, Dyze Design, Nanogrande et Sautech.
Un nouveau réflexe à adopter
«On est privilégiés, ici, avec la grappe aéronautique, à Montréal, une industrie qui utilise beaucoup de pièces fabriquées en fabrication additive, dit Luc Dionne, PDG de Tekna, spécialiste de poudres métalliques. Même s’il faut plus de consommateurs encore…» Alain Dupont, président et chef de la direction d’AP&C, va plus loin : «Il est préoccupant que l’adoption se fasse aussi lentement. Outre les universités, on n’a très peu de capacité d’impression 3D, et le risque, c’est que les emplois partent aux États-Unis.»
Le retard des secteurs clés à s’approprier la fabrication additive est en effet un des plus grands défis pour le développement de l’écosystème. «On essaie de faire du bruit pour faire connaître la technologie et faire comprendre aux entreprises comment l’insérer dans leur chaîne de valeur. C’est un travail de moine, mais il s’agit d’un véritable enjeu concurrentiel,» déclare François Gingras, directeur du développement et de l’accompagnement technologique du Centre de recherche industrielle du Québec, fusionné à Investissement Québec l’an dernier.
«Les entreprises qui nous approchent ont une plus grande connaissance du sujet qu’il y a trois ou quatre ans et savent désormais, par exemple, que cela implique des changements de design», observe Alexandre Bois-Brochu, chargé de projets R-D au Centre de métallurgie du Québec. «Mais il y a encore beaucoup de travail à faire pour leur faire voir toutes les possibilités d’usage, complète Andro Vachon, enseignant au Département des techniques de plasturgie du cégep de Thetford. Le degré de compétence moyen des entreprises est encore très faible. La plupart ne pensent qu’au produit final, mais pas à ce que la fabrication additive pourrait améliorer dans leur propre usine en matière de procédés, d’outillages, de chaînes de montage…»
De la désillusion au réalisme
Comme toutes les nouvelles technologies, l’adoption de l’impression 3D suit la courbe de Gartner, aussi appelée «cycle de la hype» : après un fort emballement initial, c’est le temps des désillusions par rapport à des espoirs exagérés. «Certains pensaient qu’on pouvait tout imprimer et que cela allait remplacer les fabrications traditionnelles. Mais le plus grand avantage de la fabrication additive, c’est son agilité, et ce n’est valable que si et seulement si on n’a pas de volume», rappelle Éric Baril, directeur général du Centre de recherche sur l’automobile et les transports de surface au CNRC. Ce dernier se souvient par exemple d’un projet envisagé par un industriel qui aurait nécessité l’usage… de toutes les imprimantes 3D en Amérique du Nord pendant un an ! «Alors que le vrai créneau de la fabrication additive, c’est la personnalisation de masse», insiste sa collègue Mélissa Després.
«Je pense qu’on est aujourd’hui dans la remontée plus graduelle, réaliste et pérenne de la courbe d’adoption, d’autant que les prix ont beaucoup baissé», indique Andro Vachon. Bombardier Transport travaille par exemple sur le sujet, à La Pocatière, depuis 2007. «On est allés dans le même ordre que tout le monde : on a commencé par le prototypage, puis on est passés à la fabrication d’outils d’assemblage, explique Stéphane Goulet, responsable de l’innovation pour la fabrication additive pour l’entreprise. On n’est pas encore rendus à la production de pièces finales, mais notre objectif, à moyen terme, c’est la fabrication de pièces de rechange pour des trains en service depuis des dizaines d’années.» L’avantage serait alors la diminution des stocks, une production locale et en juste-à-temps, et une réduction du délai de livraison des composants à ses clients.