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Une grande révolution en 3D

Kévin Deniau|Publié le 17 juin 2020

Une grande révolution en 3D

Le marché mondial de la fabrication additive croît de près de 25 % par année. (Photo: ZMorph Multitool 3D Printer pour Unsplash)

MATÉRIAUX AVANCÉS. Les secteurs clés de l’économie québécoise, du matériel de transport terrestre à l’aérospatial, en passant par l’énergie, la santé et l’équipement industriels, utilisent de plus en plus la fabrication additive. Les Affaires se penche sur cet écosystème qui se retrouve au coeur de la 4e révolution industrielle.

Projetons-nous dans l’avenir. Vous venez de briser le tiroir de votre réfrigérateur. Votre réflexe ? Aller sur le site du fabricant, télécharger le fichier du modèle et… le refaire avec une imprimante 3D. De la science-fiction ? «Non, c’est en effet quelque chose que l’on verra un jour, croit Andro Vachon, enseignant au Département des techniques de plasturgie du cégep de Thetford. D’ailleurs, presque toutes les écoles secondaires que je visite ont aujourd’hui leur propre laboratoire d’impression 3D. La démocratisation est en cours.»

Pour l’heure, cette technologie de rupture, aussi appelée fabrication additive, est l’objet d’une grande attention du monde industriel et manufacturier, qui y voit un immense potentiel technologique. «C’est la prochaine grande révolution industrielle», assure même Alain Dupont, président et chef de la direction d’AP&C, propriété de General Electric Additive et l’un des plus importants producteurs mondiaux de poudre métallique pour l’impression 3D.

Contrairement à la fabrication traditionnelle soustractive (par enlèvement de matière), comme l’usinage, la fabrication additive se caractérise, elle, par l’assemblage de matériaux couche après couche. Il conviendrait même d’en parler au pluriel tellement il existe de procédés différents (au moins sept principaux), de matériaux utilisables (polymères, métalliques, céramiques, composites, organiques…) et de formes différentes (poudres, granulés, filaments…). «Leur seul point commun, c’est que l’on convertit un dessin en mouvements dans une machine de fabrication», confie Éric Baril, directeur général du Centre de recherche sur l’automobile et les transports de surface au sein du Conseil national de recherches Canada.

Ses avantages sont nombreux : augmentation de l’agilité et de la rapidité des chaînes de production, plus grande personnalisation et liberté de design des fabrications, diminution du poids des pièces produites et des pertes de matière. Ce n’est pas pour autant une technologie miracle : elle comporte des limites et vient plus en complément qu’en remplacement des procédés traditionnels.

«Dès qu’on parle de production de masse, la fabrication additive devient moins efficace et plus coûteuse», confirme Éric Baril. «En fabrication additive, le coût pour chaque impression est quasiment le même. En exclusion ou en fonderie, le gros du coût vient de la matrice d’exclusion ou du moule au départ», explique Alexandre Bois-Brochu, chargé de projets R-D au Centre de métallurgie du Québec, lié au cégep de Trois-Rivières. Et comme la matière coûte généralement plus cher en impression 3D, les courbes de coûts se croisent à partir d’un certain niveau de production. «Les certifications sont aussi moins avancées, comme la technologie est nouvelle et la taille des pièces est limitée», ajoute Alexandre Bois-Brochu.

Premier livre blanc

Toujours est-il que le marché mondial de la fabrication additive croît de près de 25 % par année, selon la firme de consultation spécialisée Wohlers Associates. Il est passé de 1 milliard de dollars américains (G$ US) en 2010 à 10 G$ US en 2019 et pourrait dépasser les 35 G$ US en 2024. «On est vraiment au tout début de l’histoire si on compare à l’usinage traditionnel, qui existe depuis une centaine d’années», s’enthousiasme Luc Dionne, PDG de l’entreprise sherbrookoise Tekna, spécialiste de poudres métalliques.

Une expansion qui a donné l’idée à un ensemble de partenaires industriels, gouvernementaux et de recherche, dont le Pôle de recherche et d’innovation en matériaux avancés (PRIMA) du Québec, le Centre québécois de recherche et de développement de l’aluminium (CQRDA), MEDTECH, P4BUS Systems et les ministères fédéral et provinciaux de l’économie et de l’innovation, de réaliser un livre blanc sur la fabrication additive au Québec. Une première selon Marie-Pierre Ippersiel, PDG de PRIMA Québec. «En discutant avec l’industrie, on s’est rendu compte qu’il fallait mettre davantage la fabrication additive sur le radar pour que le Québec ne rate pas le train», explique-t-elle.

«Malgré des atouts non négligeables, le Québec et le Canada ne sont pas dans le peloton de tête en la matière», estime en effet René Poirier, économiste et analyste principal à Innovation, sciences et développement économique Canada (ISDE), qui a travaillé sur ce projet, dont le comité de pilotage était composé à majorité d’industriels locaux.

L’objectif de ce livre blanc est triple : stimuler l’écosystème sur place, accélérer l’adoption de cette technologie qui peut améliorer la compétitivité et contribuer au développement d’une main-d’oeuvre spécialisée. En plus de proposer un état des lieux de la fabrication additive au Québec, il propose des orientations stratégiques et des mesures structurantes pour favoriser son développement. «On espère que le gouvernement va entendre la voix des industriels», glisse Marie-Pierre Ippersiel.