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Le mentorat, un pas vers les milieux de travail plus inclusifs

Ruby Irene Pratka|Publié le 09 juin 2021

Le mentorat, un pas vers les milieux de travail plus inclusifs

(Photo: Monica Melton pour Unsplash)

MENTORAT ET COACHING. Farouk Seljouki a amorcé des démarches pour immigrer au Québec en 2015. L’informaticien d’origine marocaine n’avait évidemment pas anticipé la pandémie, qui allait retarder son arrivée de plusieurs mois. Quand il a enfin mis pied à Montréal en septembre 2020, les activités qui pouvaient lui permettre de s’y bâtir un réseau — soirées de réseautage, rencontres communautaires, ligues de soccer de quartier, etc. — étaient sur la glace. L’apport du programme de mentorat de L’Hirondelle, un organisme montréalais qui veille sur l’intégration sociale et professionnelle des nouveaux arrivants, a donc été encore plus important que prévu.

Il raconte que l’équipe de L’Hirondelle et son mentor, Malek Letaief, l’ont aidé à adapter son CV et à chercher son premier emploi en sol québécois, évidemment par vidéoconférence. « Dès le début, M. Letaief a essayé de connaître mes forces et faiblesses, et il m’a parlé de l’importance du non verbal. Les gens d’ici ont par exemple de la difficulté à comprendre nos expressions faciales, et inversement », relate celui qui a depuis trouvé un emploi dans son domaine. 

La chargée du programme d’emploi de L’Hirondelle, Jémima Charic, explique que le programme du mentorat encadre de nouveaux arrivants âgés de 18 à 35 ans qui souhaitent démarrer une entreprise, retourner aux études ou trouver un emploi. Elle ajoute que la plupart des mentors sont, comme Malek Letaief, eux-mêmes issus de l’immigration. « Le programme a été mis sur pied pour permettre aux nouveaux arrivants d’en apprendre plus sur le marché du travail, mais surtout de se sentir soutenus, poursuit-elle. Il permet aux participants de rencontrer une personne qui a un parcours similaire au leur, de retrouver confiance en soi et de se dire “Nous allons y arriver”. » 

Plusieurs programmes de mentorat professionnel pour nouveaux arrivants existent dans la province. En plus de celui de L’Hirondelle, on dénombre notamment celui de SAGE Mentorat d’affaires, à Québec, et celui de Mentorat Estrie.

 

Repenser le mentorat et l’inclusion

Jennifer Petrela, experte en mentorat chez Mentorat Québec, croit dur comme fer à l’utilité de cette forme d’accompagnement dans la création des milieux de travail plus inclusifs. Le programme qu’elle a coordonné, l’Accélérateur mentoral, a vu le jour en avril 2019 et est soutenu par le gouvernement du Québec. Il appuie des entreprises qui souhaitent mettre sur pied des programmes de mentorat pour promouvoir l’intégration des femmes dans des secteurs à prédominance masculine et des personnes issues de la diversité. 

« Quand on sensibilise les dirigeants aux barrières auxquelles font face les femmes, on sensibilise sur les enjeux qui empêchent l’épanouissement de chacun, que ce soit sur la base de leur origine, de leur identité de genre ou de leur orientation sexuelle, observe Jennifer Petrela. Le mentorat à lui seul ne va pas instaurer la parité salariale homme-femme, mais c’est un puissant levier. » D’ailleurs, dans le cadre de l’Accélérateur mentoral, une trousse d’outils pour la promotion de l’équité, de la diversité et de l’inclusion en milieu de travail a été créée, puis adoptée par plusieurs corporations et ordres professionnels. 

Le Réseau québécois d’équité, de diversité et d’inclusion (RQEDI), basé à l’Université Laval, à Québec, est en train de repenser le mentorat inclusif, par le biais d’une nouvelle collaboration avec la plateforme de mentorat virtuel Élo. La cofondatrice et directrice générale du RQEDI, Bibiana Pulido, fait partie d’une équipe qui développe un programme de « mentorat inversé » dans lequel des travailleurs issus de la diversité agiront comme mentors pour des « non-immigrants » en milieu professionnel ou universitaire. 

Bibiana Pulido, cofondatrice et directrice générale du RQEDI (Photo: Maxime Lapostolle)

Bibiana Pulido, qui a d’ailleurs eu comme mentore la fondatrice d’Élo, Catherine Légaré, lors du développement de ce programme, a été estomaquée par le nombre d’expressions d’intérêt quand celui-ci a été dévoilé en mars dernier. « Lors du webinaire d’introduction, notre licence Zoom permettait une centaine de participants, et on nous n’avons pas pu accueillir tout le monde », se souvient-elle. 

La spécialiste croit que la vague de manifestations de la dernière année en solidarité avec le mouvement Black Lives Matter aux États-Unis et les revendications des Autochtones au Canada a créé « un impératif moral, mais aussi d’affaires » de mettre en question les hiérarchies établies et de créer des milieux de travail plus inclusifs. 

« Quand on lit la littérature universitaire sur le mentorat, on trouve de nombreux programmes où l’immigrant a besoin d’aide, explique la chercheuse d’origine colombienne, qui est arrivée au Québec à l’âge de sept ans. Or, une personne issue de la diversité a aussi beaucoup à apprendre à un dirigeant d’origine québécoise. » Ainsi, le programme du RQEDI comporte une formation en équité (EDI), diversité et inclusion, suivie d’une série de rencontres avec un mentor. Il y aura aussi des sessions de partage en groupe et des discussions entre mentors et mentorés.

Bibiana Pulido participe également au développement d’un programme de maîtrise en EDI à l’Université Laval. Elle compte y intégrer le programme de mentorat, et elle souhaite que tous les étudiants agissent comme mentors, mais aussi comme mentorés pendant leur parcours. « L’idée est très intéressante, parce que la connaissance de l’autre va dans les deux sens, commente Malek Letaief. En tant que mentor, j’essaie d’expliquer la société québécoise aux nouveaux arrivants, mais si ça allait dans les deux sens, la transition se ferait de façon plus harmonieuse. »