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D’importants défis de gestion de l’eau à venir pour les villes

Philippe Jean Poirier|Édition de la mi‑mars 2023

D’importants défis de gestion de l’eau à venir pour les villes

Naysan Saran, cofondatrice de Cann Forecast et diplômée de Polytechnique Montréal (Photo: Randolph Beaulieu Poulin)

MOIS DU GÉNIE. Les villes connaîtront bientôt d’importants défis de gestion de l’eau. Les réseaux d’aqueduc, désuets à plusieurs endroits, seront soumis à une pression de plus en plus forte provenant des changements climatiques. L’entreprise montréalaise Cann Forecast, cofondée par la programmeuse scientifique Naysan Saran, diplômée de Polytechnique Montréal, utilise l’intelligence artificielle pour aider les villes à prioriser leurs changements de conduite d’aqueduc. 

Dans 25 municipalités du Québec et de l’Ontario, les gestionnaires municipaux peuvent se connecter sur la plateforme InfoBris, de Cann Forecast, et y trouver une information cruciale pour la gestion de leur aqueduc : quelle conduite changer en premier, et pourquoi ? Le modèle d’intelligence artificielle développé par Naysan Saran et son équipe génère des analyses tenant compte de près d’une vingtaine de facteurs, incluant la composition du sol, le type de conduite, sa date d’installation, les cycles de gel-dégel et ainsi de suite. « Les gestionnaires sont très contents d’avoir cet outil entre les mains, car ça leur apporte des arguments logiques pour justifier les dépenses à leur patron », explique l’entrepreneuse, rappelant que les budgets municipaux sont « limités » par la « capacité de payer des contribuables ».

Le modèle prédictif de Cann Forecast permet aux municipalités d’intervenir de manière plus « chirurgicale » dans le renouvellement de leur conduite d’aqueduc. Dans une étude publiée sur le site de l’American Society of Civil Engineers, Cann Forecast démontre que son modèle a pu trouver dans la municipalité régionale de Peel un segment linéaire de 18 km — soit 0,39 % du réseau complet — ayant subi un taux annuel moyen de 82 bris par 100 kilomètres et affichant une probabilité de bris de 21 % à 41 % de 2016 à 2020. « Prioriser les conduites les plus à risque dans les prochaines années permettra à la région de Peel de maximiser le rendement de l’investissement de son budget de remplacement et de réhabilitation [du réseau d’aqueduc]. » 

Fondée en 2016, la jeune pousse montréalaise compte aujourd’hui une douzaine d’employés, dont des scientifiques de données et des hydrologues. « Nous collaborons aussi avec un consultant en génie municipal et de l’eau qui nous aide à valider nos hypothèses », ajoute Naysan Saran.

 

Potentiel et limites 

Le renouvellement des aqueducs municipaux n’est pas un problème nouveau, note Geneviève Pelletier, ingénieure et professeure titulaire au Département de génie civil et de génie des eaux de l’Université Laval. « Au tournant des années 2010, le ministère des Affaires municipales a demandé aux municipalités de se doter de plans d’interventions qui incluent une priorisation des infrastructures pour obtenir du financement. Cela a énormément stimulé les entreprises de géomatique qui devaient localiser les infrastructures dans l’espace. »

Or, selon l’expérience de l’ingénieure, l’utilisation de l’intelligence artificielle a ses limites, compte tenu de la piètre qualité de la collecte de données dans plusieurs municipalités. Un problème que reconnaît Naysan Saran. « Dans la dernière année, nous nous sommes rendu compte que nous devions faire des contrôles de qualité, entre autres au niveau des capteurs de pluie. » Depuis, Cann Forecast a mis en place un système « robuste » comprenant une trentaine de « drapeaux rouges » qui signalent s’il y a des anomalies dans les données. Par ce mécanisme, l’entreprise peut valider la qualité des données en amont d’un projet.

 

Entre torrents et sécheresses

Outre les bris de conduite, un autre grand chantier municipal est de préparer les réseaux d’aqueduc aux fortes fluctuations de débit causées par les changements climatiques. « Au Québec, ça va encore relativement bien là, dit Geneviève Pelletier. Toutefois, plus nous aurons des périodes de pluie intense et de sécheresse prolongées, plus ça va devenir pressant d’adapter le réseau en conséquence », annonce-t-elle.

Bien au fait de ce besoin, Cann Forecast teste depuis un an de nouvelles solutions d’intelligence artificielle visant à prévoir la consommation d’eau potable et le débit des eaux usées dans un réseau d’aqueduc. « Lorsqu’il y a une pluie intense, le risque de débordement des égouts et d’inondation des sous-sols augmente, explique Naysan Saran. En connaissant le risque à l’avance, des villes comme Peel ou Montréal — qui ont des systèmes de valve pour rediriger l’eau dans le réseau — pourraient intervenir pour contenir les débordements. » 

Un projet pilote a été mené à Peel, « avec succès ». Cann Forecast s’apprête donc à commercialiser ses nouvelles solutions au Québec et en Ontario — où elle a déjà plusieurs partenaires —, mais aussi en France, aux États-Unis et sur le continent africain. La jeune pousse montréalaise, comprend-on, a de grandes ambitions.