Faire appel aux ingénieurs pour éviter le «greenwashing»
Philippe Jean Poirier|Édition de la mi‑mars 2023Les firmes peuvent aussi devenir de précieux « conseillers stratégiques » auprès des entreprises. (Photo: 123RF)
MOIS DU GÉNIE. De plus en plus d’entreprises s’engagent dans l’adoption de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) assortis de cibles de réduction carbone, voire d’un objectif de carboneutralité. Or, pour éviter que l’opération tourne en campagne d’« écoblanchiment », ces entreprises doivent encadrer leur démarche d’une méthodologie solide soutenue par l’expertise d’ingénieurs spécialisés dans le domaine.
Depuis que WSP a commencé à s’intéresser au marché ESG, il y a deux ans, la firme montréalaise de services professionnels en ingénierie a accompagné des organisations de toutes tailles dans l’adoption du volet « E » de leur politique ESG. « La problématique que nous voyons émerger ces dernières années, note Olivier Joyal, vice-président exécutif aux sciences de la terre et à l’environnement et leader ESG au Canada pour WSP, ce sont des entreprises qui se fixent des cibles de réduction sans vraiment savoir si elles vont les atteindre. Il y a des normes et des protocoles à suivre dans la manière de produire un bilan carbone, pour éviter de faire du greenwashing. »
L’écoblanchiment, ou le greenwashing en anglais, est un procédé de relations publiques par lequel une organisation se présente « plus verte » qu’elle ne l’est en réalité. Cette fausse représentation pose un problème à plusieurs égards. C’est un leurre envers les clients qui achètent des produits en toute bonne foi, et c’est aussi un leurre envers les gouvernements qui récompensent l’écoresponsabilité avec des incitatifs fiscaux, et envers les gestionnaires de fonds qui investissent selon des critères de développement durable.
La faute n’est pas toujours intentionnelle, précise Olivier Joyal. « Calculer ce qu’une entreprise émet en interne se fait relativement bien. C’est ce qu’on appelle le scope 1 — les émissions directes — et le scope 2 — les émissions indirectes liées à la consommation d’énergie. Là où ça se complique, c’est lorsqu’une entreprise veut chiffrer les émissions provenant des sous-traitants et des fournisseurs — ce qu’on appelle le scope 3. »
Évaluer le scope 3 est « clairement un défi », reconnaît Pascal Geneviève, directeur général et cofondateur de la firme de consultation CCG. « En même temps, c’est la valeur ajoutée apportée par une entreprise comme la nôtre. » La firme de Verdun se spécialise dans l’évaluation de l’empreinte carbone et l’adaptation aux changements climatiques. Depuis sa fondation, en 2016, elle a développé des outils et aussi des bases de données pour estimer les émissions en amont et en aval des activités d’une entreprise. Parmi ses mandats, CCG a déjà eu à évaluer l’empreinte carbone de la viande présente dans les plats au menu d’un restaurant, illustre le PDG.
Un rôle stratégique
Bien sûr, les firmes de génie qui se spécialisent en politique ESG ne sont pas que des comptables de molécules de CO2. Elles peuvent aussi devenir de précieux « conseillers stratégiques » auprès des entreprises. « Le développement durable est relativement peu discuté dans les conseils d’administration, remarque Pascal Geneviève. Or, quand on aborde le sujet, les dirigeants se rendent compte que leur organisation est déjà affectée par cet enjeu, parfois sans le savoir. »
D’une part, les grands donneurs d’ordre veulent « verdir » leur chaîne d’approvisionnement — le fameux scope 3 mentionné ci-haut. Ils s’attendent donc à ce que leurs fournisseurs leur proposent des solutions durables. Ensuite, de plus en plus de travailleurs cherchent à se faire embaucher par des employeurs écoresponsables. Le marché évolue aussi très rapidement, rappelle-t-il. « Depuis que Montréal a banni les sacs de plastique à usage unique, les entreprises de ce secteur sont forcées de revoir leurs activités pour s’assurer d’être pérennes dans l’avenir. »
Vers une empreinte de « biodiversité »
Depuis la COP15 à Montréal, Olivier Joyal voit une nouvelle tendance se dessiner pour les entreprises. « Après le bilan carbone, la prochaine étape sera de calculer l’empreinte de l’entreprise sur la biodiversité », explique le VP exécutif. En plus de réduire leurs émissions carbone, les entreprises voudront devenir « positives pour la nature ».
En 2015, un « groupe de travail sur l’information financière liée aux changements climatiques » (mieux connu sous le nom de Task Force on Climate-Related Financial Disclosures ou TFCD) a été créé à l’échelle internationale pour guider les entreprises et les investisseurs dans le dossier de l’écoresponsabilité. Or, voilà qu’un nouveau « Groupe de travail sur l’information financière liée à la nature » (Taskforce on Nature-related Financial Disclosures ou TNFD) a été fondé en 2021, souligne Olivier Joyal.
Le dossier est « hyper-stratégique », conclut-il. « Les dirigeants n’ont d’autre choix que d’emboîter le pas vers le développement durable. Ils comprennent maintenant qu’ils peuvent mettre en péril leur organisation s’ils négligent les questions environnementales. C’est un peu comme les questions de cybersécurité : ça peut affecter directement la réputation d’une entreprise. »