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Développement durable: les PME ont besoin d’être guidées

Emmanuel Martinez|Édition de la mi‑novembre 2023

Développement durable: les PME ont besoin d’être guidées

Étienne St-Jean, coauteur du rapport intitulé «Situation de l’activité entrepreneuriale québécoise 2022» (Photo: courtoisie)

NORMES ESG: 2024 SERA UNE ANNÉE CHARNIÈRE. Le verre semble à la fois à moitié plein et à moitié vide lorsqu’on se penche sur l’adoption de pratiques de développement durable (DD) par les entrepreneurs québécois.

D’après le récent rapport annuel de l’Institut de recherche sur les PME de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) sur l’activité entrepreneuriale québécoise en 2022, les entrepreneurs émergents du Québec sont plus investis dans le DD que ceux des générations précédentes et que ceux du reste du Canada. Voilà pour la bonne nouvelle.

La mauvaise, c’est que les entrepreneurs établis québécois (ceux qui se versent un salaire depuis 42 mois ou plus) sont nettement moins préoccupés par ces questions que ceux des autres provinces. Par exemple, seulement 37 % d’entre eux ont dit avoir pris des mesures pour minimiser l’impact environnemental de leur PME l’an dernier. C’est le pire résultat des 26 territoires sondés dans le cadre de cette recherche internationale, qui inclut notamment les États-Unis, la France et le Japon. À titre de comparaison, 72,2 % des entrepreneurs émergents québécois ont affirmé avoir agi pour réduire leur empreinte environnementale, tout comme 70,2 % des entrepreneurs établis du reste du pays.

Le coauteur du document, le professeur Étienne St-Jean, estime que les différences générationnelles s’expliquent peut-être par la maturité de l’entreprise. « Plus une PME est établie, plus il y a une force d’inertie, déclare-t-il en entrevue. Il y a moins d’intérêt à modifier le produit pour répondre à des questions sociales et environnementales. À l’opposé, pour ceux qui lancent une nouvelle entreprise, il y a une nécessité de se distinguer. Amener un produit plus vert ajoute de la valeur. »

Il remarque que le tissu industriel pourrait expliquer la différence avec le reste du Canada. Les PME québécoises sont généralement plus matures que celles de l’ouest du pays, selon lui.

 

La force du nombre

Sachant qu’elles représentent 99% des entreprises au pays et qu’elles génèrent environ la moitié du PIB du secteur privé, les PME sont incontournables pour améliorer la performance environnementale et sociale de notre économie.

« Elles détiennent la fausse croyance voulant que leurs effets sur le développement durable soient minimes parce qu’elles sont petites, note le professeur de management de l’UQTR, François Labelle. Quand on évalue leur impact agrégé, on constate cependant qu’il est énorme. Les pouvoirs publics ciblent beaucoup les grandes entreprises, mais ils font fausse route en négligeant la sensibilisation des PME. »

Il souligne que la pandémie et la pénurie de main-d’œuvre ont retardé la transition des PME. « Elles ont eu moins de temps et de ressources pour se consacrer au développement durable, relève-t-il. Souvent, les mêmes personnes font un peu tout, donc on va au plus urgent. »

Un soutien beaucoup plus ferme que ce qui est présentement offert est impératif. « Les PME doivent être accompagnées de manière plus concrète, déclare Olivier Germain, titulaire de la Chaire Entrepreneuriat, altérité et société à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. Elles ont de l’ambition, mais ne savent pas par où commencer. Elles ont besoin de gens qui le font avec eux et pas seulement des consultants qui leur disent quoi faire. »

François Labelle propose ainsi que l’État finance des bases de données à libre accès pour que les PME puissent réaliser des analyses de cycle de vie de leurs produits, un processus trop onéreux pour elles en ce moment. « Ce serait un grand pas en avant pour permettre aux PME de progresser », mentionne-t-il.

L’embauche est également un moyen idéal de renforcer le DD au sein d’une PME, juge Corinne Gendron, professeure au Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale à l’UQAM. « Ces nouvelles ressources peuvent insuffler des compétences innovantes. Ce sont des occasions que les PME peuvent saisir », dit-elle.

L’aide des grands

François Labelle note qu’il existe un mouvement d’émulation au sein des grandes entreprises qui fait défaut du côté des PME. Puisqu’elles s’observent entre elles, ces organisations sont beaucoup plus à l’affût afin de ne pas accuser de retard. Les investisseurs institutionnels exercent aussi des pressions tout comme l’État qui leur impose des normes plus sévères.

« Cela a un effet structurel, croit-il. Les PME ont moins de comptes à rendre, donc il y a moins d’information sur elles et les bons exemples sont moins nombreux. Il faut mettre de l’avant les champions, par exemple dans les réseaux sociaux, afin de susciter l’émulation. »

Corinne Gendron estime que les donneurs d’ordre sont des joueurs clés pour pousser les PME vers le haut. « Ils peuvent formuler de nouvelles exigences et accompagner les PME en mettant à disposition leurs propres ressources à leurs fournisseurs, puisqu’ils ont acquis de belles compétences en matière de développement durable. La PME va y voir tout de suite son intérêt. » 

L’étau se resserre pour les PME en raison de nouvelles normes et pratiques d’affaires qui se répandent comme une traînée de poudre. Ces entreprises devront donc être soutenues plus intelligemment si nous désirons collectivement réduire notre empreinte environnementale et relever les défis sociaux et économiques du 21e siècle.