Financement des infrastructures: revoir la tarification routière
Claudine Hébert|Édition de la mi‑octobre 2023« La solution la plus rapide serait d’indexer les taxes sur l’essence », propose la professeure en études urbaines de l’UQAM, Florence Junca-Adenot. (Photo: 123RF)
Une hausse des taxes à la pompe; la réintroduction des postes de péage à grande échelle ; la mise en place d’une taxe kilométrique pour l’ensemble des conducteurs : voilà les principales idées de financement qui circulent à la table de discussions de plusieurs organismes concernées par l’évolution du transport et de ses diverses sources de revenus depuis une bonne quinzaine d’années.
Or, faute d’appui politique, une révision de fond en comble de la tarification routière se fait toujours attendre.
Pourtant, le concept de tarification routière ne date pas d’hier. Déjà, au 18e siècle, l’économiste écossais Adam Smith évoquait l’idée de recourir à cette solution. Cette méthode faisant référence à des tarifs d’usagers était, selon lui, la plus optimale des solutions pour financer les ouvrages tels que les routes et les ponts au lieu de puiser dans les recettes générales de l’État. Près de 250 ans plus tard, cette suggestion est plus que jamais d’actualité.
« La solution la plus rapide serait d’indexer les taxes sur l’essence », propose la professeure en études urbaines de l’UQAM, Florence Junca-Adenot. Celle qui a déjà dirigé l’Agence de métropolitaine de transport (AMT) signale que la taxe de 0,19$ du gouvernement québécois n’a pas bougé d’un iota malgré la hausse du litre d’essence passé de 1,28$ à 1,78$ depuis dix ans. « L’avantage de cette solution est qu’elle peut être instaurée instantanément sans coût structurel pour le gouvernement », avise-t-elle.
Les Affaires a tenté de s’entretenir avec la ministre des Transports et de la Mobilité durable, Geneviève Guilbault, à ce sujet. Son cabinet n’a cependant pas donné suite à notre demande d’entrevue, refusant de commenter à ce propos.
Retour des postes de péage
Évidemment, le fardeau routier et du transport collectif doivent aussi reposer sur les épaules des électromobilistes. « Un retour des postes de péage à grande échelle sur le réseau routier constitue une deuxième option pouvant prendre forme à courte échéance », poursuit la professeure Junca-Adenot.
À propos de péage, la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) a investi 355 millions de dollars en février dernier pour acquérir la moitié de la concession du pont de l’A25, qui appartient à Transurban. Il s’agit du deuxième partenariat majeur entre la CDPQ et cette entreprise australienne. En 2021, la Caisse avait injecté 2,3 milliards de dollars (G$) australiens (2,14 milliards de dollars canadiens) dans le plus grand projet d’infrastructure routière du pays des kangourous, WestConnex, une autoroute de 70 km qui relie l’ouest et le sud-ouest de Sydney au centre-ville, à l’aéroport de Sydney et à Port Botany.
Selon Florence Junca-Adenot, il est possible que la participation de la CDPQ dans la concession de l’A25 ainsi que son investissement dans la construction du pont de l’Île-aux-Tourtes, dans l’ouest de l’île de Montréal, laissent présager une réintroduction du mode de péage à grande échelle dans la province.
D’ailleurs, l’organisation EZPass, présente dans 19 États américains (dont New York, le New Jersey et le New Hampshire), aurait des discussions avec certaines institutions canadiennes, confirme le directeur général, P.J. Wilkins. Ce dernier n’a cependant pas voulu préciser s’il s’agissait d’organisations québécoises ou ontariennes. Quoi qu’il en soit, le gestionnaire de cette large coopérative créée en 1988 indique que les divers systèmes d’EZPass pourraient aisément être compatibles avec les solutions d’ici. Soulignons que cette coopérative qui regroupe plusieurs agences collecte plus de 14,5 G$ annuellement. Il s’agit, insiste-t-il, du plus vaste système du genre dans le monde.
Oui, mais…
« Le péage traditionnel, c’est bien. Mais ce qu’il faudrait, c’est une taxe kilométrique bien modulée pour les régions et les familles », renchérit toutefois Pierre-Olivier Pineau, professeur titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal.
« Si l’on tient compte de la somme des deux taxes gouvernementales sur le carburant (19,2 cents au Québec et 10 cents au fédéral), donc 29,2 cents par litre, et de la consommation moyenne des automobiles (9,1 litres/100 km), les consommateurs de véhicule à essence paient en moyenne à 2,6 cents par kilomètre », explique-t-il.
Selon le professeur, la taxe kilométrique consisterait à utiliser les mesures des odomètres de chaque véhicule et à multiplier le nombre de kilomètres par 2,6 cents. Il s’agirait d’une précieuse information que personne ne suit pour le moment, tient-il à préciser.
« Dans une version plus techno, un GPS intégré dans chaque voiture ferait très bien le travail », ajoute-t-il. Cette méthode aurait d’ailleurs l’avantage de pouvoir faire payer différents tarifs selon qu’on circule aux heures de pointe, en ville, en campagne et même en fonction du type de véhicule utilisé, partage le professeur.
Le professeur comprend toutefois que cette option pourrait soulever des sensibilités sur les données personnelles. « Le retour des postes de péage serait donc une solution minimale… », conclut le professeur Pineau.