Nicole Martel, PDG de l’Association québécoise des technologies (Photo: courtoisie)
NUMÉRIQUE DURABLE. L’empreinte écologique du numérique ne cesse d’augmenter à mesure que nos sociétés et nos entreprises se numérisent. Au point où elle risque d’annuler certains gains de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) difficilement acquis dans d’autres secteurs.
Le robot conversationnel ChatGPT a fait les manchettes ces derniers mois pour ses réponses impressionnantes, quoique parfois loufoques. On a moins parlé du fait que son entraînement a émis 502 tonnes de GES et exigé l’utilisation de 700 000 litres d’eau. Ça, c’était avant que des centaines de milliers de personnes commencent à l’essayer.
Plusieurs études évaluent que le secteur numérique produit entre 3,5 % et 5 % des émissions de GES mondiales. C’est plus que l’aviation et à peu près l’équivalent du transport par véhicules lourds. Il consomme aussi 10 % de l’électricité de la planète, selon le Digital Power Group. Cela pourrait doubler d’ici à 2025.
« Les émissions de GES liés au secteur du numérique risquent également de presque doubler avant 2030, si on continue sur la voie actuelle », prévient François Lafortune, professeur à l’Université de Sherbrooke, spécialisé dans les inventaires et la vérification de projets de réductions de GES.
À ce titre, s’assurer que les serveurs et les centres de données, très énergivores, sont situés dans des endroits où l’accès à l’énergie renouvelable est facile, comme le Québec, compte énormément. La production d’électricité au Québec génère entre 1,5 et 2 g de CO2 par kilowattheure, comparativement à 85 g en France, 379 g aux États-Unis et 544 g en Chine.
Les entreprises devraient donc se doter de bonnes pratiques pour réduire l’empreinte écologique de leurs activités numériques. Cela passe en partie par une réflexion quant à l’utilisation du télétravail et de la vidéoconférence — qui consomment énormément d’énergie et d’eau — l’envoi de courriels avec de lourdes pièces jointes, la quantité de données conservées, le choix des fournisseurs d’infonuagique (leurs serveurs sont-ils alimentés avec de l’énergie renouvelable ?), etc.
Mieux gérer les équipements
Les fournisseurs de solutions numériques devraient quant à eux se tourner vers l’écoconception, c’est-à-dire vers des outils plus légers, taillés sur mesure pour répondre à des besoins spécifiques. Car nous multiplions actuellement les « obégiciels », selon Sylvain Amoros, professeur à HEC Montréal et responsable des partenariats à la Chaire de commerce électronique RBC Groupe Financier. Depuis l’an dernier, la Chaire a un fonds de recherche sur la question du numérique responsable.
« Les pages web sont 115 fois plus lourdes qu’il y a 20 ans et la plupart contiennent une tonne de fonctionnalités inutilisées ou peu nécessaires, souligne-t-il. C’est comme si je possédais une voiture qui n’est ni plus rapide, ni plus spacieuse, ni plus belle qu’avant, mais qui consomme 115 fois plus de pétrole. »
La gestion des équipements est également cruciale. Or, nous souffrons d’une dissonance cognitive à cet égard, selon Sylvain Amoros « Les équipements informatiques sont assez petits, donc c’est difficile de saisir la quantité de matières premières qui a été extraite pour les produire », souligne-t-il. D’après l’Agence de la transition écologique française, la fabrication d’un portable de 2 kg exige l’extraction de 800 kg de matière. La fabrication représente jusqu’à 80 % des impacts environnementaux du numérique.
« Allonger la durée de vie de nos équipements, ne serait-ce que d’une seule année, a déjà un effet important, avance François Lafortune. On doit aussi s’assurer de recycler ou de trouver une nouvelle vocation à nos appareils. » Selon le Global E-waste Monitor, seulement 17 % des déchets électroniques ont été recyclés en 2019.
Où est l’État ?
« Nous ne mesurons pas beaucoup l’empreinte écologique de notre utilisation du numérique au Québec, déplore Nicole Martel, PDG de l’Association québécoise des technologies (AQT). Il reste un très grand travail de sensibilisation à effectuer du côté des entreprises, du gouvernement et du public. »
La France a voté en novembre 2021 une loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique. Celle-ci cherche à favoriser l’allongement de la vie des appareils. Elle exige, par exemple, que les achats publics prennent en compte l’indice de réparabilité des appareils. Adopté en janvier 2021, cet indice évalue le caractère plus ou moins réparable d’objets, dont les téléphones intelligents et les ordinateurs portables. D’ici 2024, il deviendra un indice de durabilité et comprendra des critères comme la robustesse et la fiabilité. La loi française soutient aussi la remise à neuf des produits ainsi que la récupération et le réemploi des matériels inutilisés.
Rien de tel au Québec. Les appels d’offres du gouvernement ne contiennent généralement aucune pondération liée à l’usage responsable du numérique. « On risque toutefois de voir ces exigences apparaître dans les appels d’offres des grandes entreprises internationales, ce qui fera évoluer le marché », croit Nicole Martel.