Lorne Trottier (Photo: Martin Flammand)
PDG DE L’ANNÉE – ENGAGEMENT SOCIAL. Une passion d’enfant peut mener loin, très loin même. Amoureux des sciences, Lorne Trottier s’est amusé dès l’âge de 11 ans à comprendre les mécanismes électroniques et à fabriquer de petits équipements comme un télégraphe et une radio transistor.
Toujours animé par cette même flamme, il vient, à 71 ans, de racheter les parts de son ex-associé, avec qui il a cofondé Matrox, en 1976, une société qui est devenue un leader dans la conception de composants industriels et de logiciels en vision artificielle, dans le traitement d’images et l’imagerie médicale.
«C’est un grand risque, mais c’est un défi très motivant qui va nous permettre d’aller de l’avant», confie M. Trottier qui, en devenant propriétaire unique de cette entreprise de Dorval, met ainsi fin à un conflit entre associés qui a duré une quinzaine d’années et qui a nui à la croissance de Matrox.
«Nous étions en désaccord sur les orientations que devait prendre l’entreprise et les investissements à faire», explique l’homme d’affaires.
Cette décision illustre bien quel type de personnage est le cofondateur de Matrox, selon Charles Nadeau, chef des services «corporatifs» de l’équipementier de composants électroniques. «C’est un homme très résilient qui, malgré les disputes, a passé à travers les dernières années avec force et optimisme», dit-il.
De Marconi à Matrox
M. Trottier est né à Montréal d’un père franco-ontarien et d’une mère juive québécoise anglophone. Après des études en génie électrique à l’Université McGill, où il obtient une maîtrise en 1973, le jeune ingénieur fait ses premiers pas à la firme de télécommunication Marconi, qui développait alors des systèmes de communication par radar.
Trois ans plus tard, alors que le premier ordinateur personnel vient de voir le jour et que les technologies graphiques en sont à leurs balbutiements, M. Trottier décide de se lancer dans l’aventure en mettant sur pied une entreprise qui commercialise des circuits accélérateurs pour l’affichage des images.
En quelques années à peine, Matrox a réussi à faire sa marque et à fournir les plus grands fabricants d’ordinateurs, comme Hewlett-Packard, IBM ou Digital Equipment. Puis, l’entreprise a évolué au rythme des développements technologiques qui ont marqué les 40 dernières années.
Aujourd’hui, Matrox fabrique des puces industrielles en informatique graphique, en affichage multiécran, en enregistrement et montage vidéo, en imagerie médicale, en vidéosurveillance et en robotique.
«M. Trottier comprend la technologie comme pas un. Il maîtrise très bien l’ingénierie et le développement de produits», souligne M. Nadeau.
L’homme discret
Si M. Trottier est une figure bien connue de l’industrie des technologies de l’information, il l’est beaucoup moins aux yeux du public.
«C’est un homme très discret. Sa réussite, de même que celle de Matrox, est passée sous le radar», constate Michel Magnan, professeur et titulaire de la chaire de gouvernance d’entreprise Stephen A. Jarislowsky à l’École de gestion John-Molson de l’Université Concordia, qui a fait partie du jury indépendant pour sélectionner les PDG de l’année de Les Affaires.
Matrox, qui emploie 750 personnes, est une entreprise privée qui n’a jamais eu recours à la Bourse pour financer son développement. M. Trottier ne ferme toutefois pas la porte à un premier appel public à l’épargne. «Maintenant que je suis seul actionnaire, c’est une option à envisager éventuellement», confie-t-il.
M. Trottier reste aussi discret sur son engagement philanthropique, mais celui-ci n’en demeure pas moins majeur. «L’ampleur des dons est très importante. Les sommes excèdent souvent des dons faits par des personnalités plus connues et qui sont plus médiatisés», fait remarquer M. Magnan.
Redonner sa fortune
L’idée de redonner à la collectivité remonte à ses années universitaires.
«Je viens d’une famille modeste, mais j’ai eu la chance d’avoir des bourses d’études pour aller à l’université. Je m’étais toujours dit qu’un jour, si j’avais les moyens de le faire, j’en ferais aussi profiter les autres», se rappelle M. Trottier.
Il confie s’être inspiré alors des deux fondateurs de la multinationale Hewlett-Packard (William Hewlett et David Packard), qui ont fait d’importants dons à la Stanford University, leur alma mater.
M. Trottier, qui a créé en 2000 avec sa femme Louise Rousselle Trottier la Fondation Familiale Trottier – dont les actifs dépassent maintenant 160 millions de dollars -, entend aujourd’hui répondre à l’appel lancé par les milliardaires Bill Gates et Warren Buffet visant à donner au moins la moitié de leur fortune à des oeuvres philanthropiques.
Au fil des ans, il a versé plusieurs millions de dollars à l’Université McGill pour soutenir des chaires de recherche et offrir des bourses d’études. Cet argent a notamment servi à construire le pavillon Lorne-M.-Trottier, qui abrite maintenant le département de génie électrique et informatique ainsi que l’école d’informatique.
L’Université de Montréal, l’Université du Québec à Montréal (UQAM), le Centre universitaire de santé McGill (CUSM), le Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) et l’Hôpital général du Lakeshore ont aussi profité de dons de la Fondation pour appuyer des projets d’infrastructures ou l’achat d’équipements.
S’attaquer aux changements climatiques
L’avancement de la science est aussi au coeur des engagements philanthropiques de M. Trottier.
Voilà pourquoi il contribue financièrement aux symposiums scientifiques pour le public Lorne Trottier. Chaque année, cet événement réunit à Montréal des experts dans différents domaines d’intérêt public. En octobre dernier, la longévité était le principal sujet de discussion, alors que la médecine douce, les nouvelles tendances alimentaires ou même les possibilités de vie extra-terrestre ont été des thèmes abordés ces dernières années.
M. Trottier est également un adepte d’astronomie. À l’été 2017, à l’occasion d’une très rare éclipse solaire totale et la première à traverser les États-Unis en 99 ans, il s’est d’ailleurs rendu en Oregon avec plusieurs membres de sa famille pour assister à ce spectacle.
L’homme d’affaires est aussi de plus en plus préoccupé par les changements climatiques, et ce, notamment grâce à sa plus jeune fille qui a étudié en sciences de l’environnement et l’a sensibilisé davantage à cette cause. D’ailleurs, l’«environnement est devenu un volet très important de la Fondation», souligne M. Trottier. Il s’est même joint aux quelque 500 000 manifestants lors de la marche pour le climat à Montréal et la visite de la militante suédoise Greta Thunberg, en septembre dernier.
Un mois auparavant, la Fondation Familiale Trottier avait annoncé une contribution financière pour la mise sur pied du Centre climat pour le Grand Montréal qui vise à appuyer des solutions de réduction des gaz à effet de serre (GES).
La Fondation est aussi associée à la Fondation David Suzuki pour explorer des moyens d’atteindre les cibles de réduction de GES.
«La lutte contre les changements climatiques constitue le défi le plus important du 21e siècle», affirme celui qui est prêt à mener ce combat après avoir été un acteur privilégié de la révolution électronique du 20e siècle.