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S’ouvrir aux personnes qui n’ont pas le CV de l’emploi

Kévin Deniau|Édition de la mi‑février 2023

S’ouvrir aux personnes qui n’ont pas le CV de l’emploi

Alexandre Marchand, l’ancien directeur général de Produits Neptune, entreprise montréalaise spécialisée dans les accessoires de salles de bain, a commencé sa vie professionnelle en tant… qu’athlète de haut niveau. (Photo: courtoisie)

PÉNURIE DE TALENTS. Et si la réponse à la pénurie de main-d’œuvre se trouvait dans l’ouverture à de nouveaux bassins de recrutement ? La question mérite d’être posée à l’heure où les personnes en réorientation de carrière, les profils neuroatypiques ou même les aînés disposent de nombreux atouts qu’ils pourraient mettre au service des entreprises. État des lieux. 

« Il faut arrêter de penser que l’unique solution, c’est l’immigration », fait valoir Emilie Pelletier, CRHA et cofondatrice du cabinet HRM Groupe, spécialisé en marketing RH. Pour elle, les entreprises doivent s’ouvrir à de nouveaux profils de candidats. 

« Le problème majeur, c’est la prise de risque, remarque sur son blogue Alexandre Pachulski, auteur de l’ouvrage « Unique(s) ». Et si la clé du monde de demain, c’était nous ? » Personne ne viendra féliciter un recruteur qui a embauché une personne au CV atypique alors que tout le monde lui tombera dessus si ça ne marche pas. » 

Les personnes qui n’ont pas le CV de l’emploi ont pourtant des arguments à faire valoir. Selon Alexandre Pachulski, l’absence de réflexe conformiste pousse à inventer des solutions hors du cadre. Après tout, les fondateurs d’Airbnb ou d’Uber ne viennent ni du monde de l’hôtellerie ni de celui du taxi. 

C’est aussi le cas pour Alexandre Marchand, qui a sauté des pistes d’athlétisme au monde des affaires. L’ancien directeur général de Produits Neptune, entreprise montréalaise spécialisée dans les accessoires de salles de bain, a en effet commencé sa vie professionnelle en tant… qu’athlète de haut niveau. Durant ses dix ans de carrière sportive, le Trifluvien d’origine a remporté cinq titres de champion du Canada en 400 mètres et 400 mètres haies et s’est même classé sixième au Championnat du monde junior de 1996. 

« Quand tu cours une finale dans un stade de 110 000 personnes, ce n’est plus une présentation devant une centaine de personnes qui va te stresser », affirme Alexandre Marchand. Selon lui, les athlètes ont un rapport à la performance qui peut faire la différence en entreprise.

 

Une plus-value pour l’entreprise 

« Planifier sa préparation des mois avant une grande compétition a de grandes similitudes avec le lancement d’un nouveau produit », illustre Alexandre Marchand, qui dit avoir toujours eu « un côté homme d’affaires ». « Quand j’ai commencé à afficher de bons résultats sportifs, je suis tout de suite allé chercher des commanditaires », se souvient-il.

En 2000, une blessure au genou l’empêche de participer aux Jeux olympiques de Sydney et l’oblige, peu de temps après, à accrocher ses espadrilles. C’est après une expérience dans une agence de relations publiques qu’il décide de se reconvertir dans le développement des affaires. Alexandre Marchand se rappelle encore le processus d’embauche à Maax Bath, entreprise de Sainte-Marie, en Chaudière-Appalaches, qui conçoit des produits de salles de bain. « On m’a demandé comment gérer une gamme de produits, c’est quoi un P&L… Je n’avais jamais entendu ces expressions de ma vie ! » sourit-il. Convaincu qu’il ne sera jamais rappelé, il met en pratique une bonne habitude d’athlète après une mauvaise performance : il s’entraîne encore plus fort dès le lendemain. « J’ai appelé tous les présidents d’entreprises qui m’avaient commandité à l’époque pour qu’ils m’apprennent ces concepts commerciaux que je ne connaissais pas. »

Surprise : Maax Bath le rappelle pour une deuxième entrevue ! « J’étais certes atypique, mais j’avais la bonne attitude : débrouillard pour aller chercher l’information et prêt à apprendre comme une éponge. C’est là que ma carrière est partie », dit celui qui vient de créer sa propre entreprise de baignoires pour les personnes vieillissantes ou à mobilité réduite, Assisto.

 

Offrir de l’inédit

Ce type de reconversion professionnelle est loin d’être un cas isolé au Québec. « Toutefois, rares sont les entreprises ouvertes à ce genre de profil », déplore Louise Arcand, coach et conseillère de transition et de développement professionnel depuis 2008, qui fut, elle-même, designer d’intérieur pendant une vingtaine d’années. 

Ces profils atypiques doivent malgré tout mener une véritable « campagne de séduction », affirme Louise Arcand. « Le CV est très peu utile dans ces cas de figure. Il convient donc de miser sur le marché caché de l’emploi en jouant sur le relationnel avec les bonnes personnes dans l’entreprise visée », conseille-t-elle.

Pas question, toutefois, de faire table rase du passé : des compétences acquises au cours de son parcours peuvent être transposables à son nouveau métier. « Il faut rester authentique et assumer son unicité. Autrement dit, proposer d’offrir à l’entreprise non seulement quelque chose de différent, mais surtout d’inédit. »