Les fondations doivent-elles reverser plus à la collectivité?
Maxime Bilodeau|Édition de la mi‑mai 2022L’Association des professionnels en philanthropie du Canada, qui compte plus de 3000 membres professionnels des collectes de fonds, plaidait en faveur de cet important changement afin «de respecter l’objectif de bienfaisance qui a motivé ces investissements». (Photo: 123RF)
PHILANTHROPIE. Dès le 1er janvier 2023, les quelque 11 000 organismes de bienfaisance du pays devront être plus charitables et décaisser obligatoirement une plus grande part de leurs actifs disponibles, apprend-on dans le plus récent budget fédéral dévoilé début avril. L’annonce est passée sous le radar du contribuable canadien. Il devrait pourtant s’en soucier… et s’en réjouir!
Le taux minimal que les fondations seront tenues de verser à la collectivité chaque année passera de 3,5% à 5%. Ce nouveau «contingent des versements» concerne la portion qui excède 1 million de dollars de la valeur des biens ne servant pas à des activités de bienfaisance ou à l’administration. Le dernier ajustement remontait à 2004, alors que le taux avait diminué de 4,5% à 3,5%.
Un contingent des versements de 5% «sera viable pour la plupart des organismes de bienfaisance de cette taille et augmentera nettement les dépenses affectées aux programmes de bienfaisance», explique un fonctionnaire du ministère des Finances par courriel. Cela pourrait se traduire par des dépenses supplémentaires de 1 à 2 milliards de dollars (G$) par année de la part des fondations.
Avec une telle mesure, le Canada s’aligne maintenant avec les États-Unis, où il existe une exigence similaire envers les fondations. «Cette décision était attendue depuis longtemps par le milieu philanthropique», indique David Grant-Poitras, coordonnateur du PhiLab Québec et doctorant en sociologie à l’Université du Québec à Montréal.
Ottawa a mené des consultations sur une augmentation potentielle du contingent des versements dans la foulée de son budget 2021. L’Association des professionnels en philanthropie du Canada, qui compte plus de 3000 membres professionnels des collectes de fonds, plaidait en faveur de cet important changement afin «de respecter l’objectif de bienfaisance qui a motivé ces investissements».
Un plancher encore trop bas?
Le relèvement de ce taux survient alors que les fondations prêtent le flanc à de nombreuses critiques sur la manière dont elles gèrent leurs réserves altruistes. De fait, leur fortune avoisinerait collectivement près de 100 G$, selon des chiffres de Fondations philanthropiques Canada et de Fondations communautaires du Canada.
Avec les rendements boursiers des dernières années, plusieurs fondations se trouvaient dans les faits à engranger plus d’argent qu’elles en redistribuaient ensuite. Six des dix plus grandes fondations privées québécoises se sont par exemple contentées de verser en dons le strict minimum de 3,5% requis en 2020, dévoilait le Journal de Montréal en février dernier.
Si elle salue l’initiative du gouvernement fédéral, Brigitte Alepin, professeure en fiscalité à l’Université du Québec en Outaouais, en critique néanmoins le manque d’ambition. «Un contingent des versements de 5% est un bon début, mais ce n’est pas suffisant, affirme-t-elle. Lors des consultations de l’année dernière, soit bien avant l’élan inflationniste actuel, je proposais un taux d’au moins 6%.»
Selon ses calculs, il faudrait au moins 20 ans pour qu’une hausse de 6% commence à être fiscalement rentable pour le trésor public. Autrement dit, les contribuables seraient perdants durant les 20 premières années de ce régime fiscal avant de revoir la couleur de leur argent. «Au taux de 3,5%, cette durée était de 50 ans, imaginez!» s’indigne l’autrice de Ces riches qui ne paient pas d’impôts.
David Grant-Poitras constate pour sa part que la moyenne des dons versés par les fondations au pays est déjà de 5%, voire plus. «Dans les années de rendements records sur les marchés, certaines vont donner 10%, 12%, 13%. Le taux minimal exigé par la loi à l’heure actuelle est très conservateur», souligne celui qui insiste pour qu’on ne mette pas toutes les fondations dans le même panier.
À son avis, ce débat occulte la véritable question: que faire de l’ensemble du portefeuille une fois le montant correspondant au seuil plancher de décaissement dépensé? «On ne mesure pas l’impact social, environnemental des actifs restants, du 95%, déplore-t-il. L’Agence du revenu du Canada est muette à ce sujet dans ses règlements.»
Meilleure collecte de renseignements
De plus amples renseignements seront recueillis par l’Agence du revenu du Canada sur les placements et les fonds orientés par les donateurs, apprend-on aussi dans le plus récent budget fédéral.
«Des améliorations seront apportées à la collecte de renseignements, en vue d’établir les organismes qui respectent leur contingent de versements», a déclaré par courriel un fonctionnaire du ministère des Finances. Les détails de ces changements seront connus à une date ultérieure.