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Philanthropie: les communautés noires et autochtones oubliées?

Maxime Bilodeau|Édition de la mi‑mai 2022

Philanthropie: les communautés noires et autochtones oubliées?

En 2017 et 2018, les 15 plus grandes fondations communautaires ont versé un maigre 0,07% de leur financement à des organismes dirigés par des Noirs et seulement 0,7% à des organismes desservant les populations noires, selon le rapport «Non financé: les communautés noires, les oubliés de la philanthropie canadienne», préparé notamment par le Réseau pour l’avancement des communautés noires. (Photo: 123RF)

PHILANTHROPIE. Lors des élections fédérales de l’automne dernier, les libéraux de Justin Trudeau ont promis de «mettre rapidement en œuvre le Fonds de dotation philanthropique dirigé par les Noirs» s’ils étaient reconduits au pouvoir. Chose promise, chose due. En mars, le gouvernement du Canada s’est engagé à verser 200 millions de dollars afin d’établir cette nouvelle entité destinée à appuyer des organismes de bienfaisance qui soutiennent des initiatives jeunesse et sociales.

Cette annonce a été précédée de tables rondes virtuelles avec près de 150 intervenants de cette communauté au pays en 2021, puis d’une consultation en ligne au début 2022. «Le gouvernement du Canada reconnaît que le racisme systémique à l’encontre des Noirs est inacceptable au sein de la société canadienne. Nous avons entendu les communautés noires, elles demandent davantage de soutien», précise par courriel une porte-parole d’Emploi et Développement social Canada.

 

Lutte au racisme

Les doléances des 1,2 million de membres de cette communauté, soit 3,5% de la population canadienne? Le sous-financement chronique dont ils sont victimes. En 2017 et 2018, les 15 plus grandes fondations communautaires ont versé un maigre 0,07% de leur financement à des organismes dirigés par des Noirs et seulement 0,7% à des organismes desservant les populations noires, selon le rapport «Non financé: les communautés noires, les oubliés de la philanthropie canadienne», préparé notamment par le Réseau pour l’avancement des communautés noires.

«On fait souvent taire les communautés noires et leurs préoccupations en demandant “où sont les données?” Ce rapport présente des chiffres frappants. Maintenant que nous savons, qu’allons-nous faire?» s’est questionné Liban Abokor, membre du groupe de travail de la Fondation pour les communautés noires par communiqué, à la suite de la publication de ce document en décembre dernier.

Ces conclusions ont beau être saisissantes, elles ne sont pas surprenantes. «Nous le savions depuis longtemps: le milieu philanthropique canadien donne peu aux organismes communautaires dirigés par des Noirs et au service des Noirs», constate Max Stanley Bazin, président de la Ligue des Noirs du Québec, qui se réjouit de l’annonce d’Ottawa. «Cet argent servira à lutter contre le racisme et les inégalités envers les Noirs», estime-t-il.

Ce sous-financement s’inscrit dans le contexte plus large de la discrimination systémique, institutionnelle ou structurelle — tous des synonymes. «Une personne ne discrimine pas de manière consciente, mais bien inconsciente. Ce n’est pas surprenant que ce comportement se manifeste aussi lorsqu’il est temps de faire preuve de générosité», analyse Max Stanley Bazin. Le défi est d’autant plus criant que 5,6% de la population canadienne devrait être composée de personnes noires d’ici 2036, selon des projections de Statistique Canada.

 

Les Autochtones aussi

Les 630 communautés des Premières Nations du Canada ne sont malheureusement pas épargnées par le phénomène. «Même s’ils représentent 4,9% de la population canadienne, les membres de ces communautés ont reçu environ 0,5% de l’ensemble des dons au pays en 2018 […] Pour chaque dollar obtenu par les organismes autochtones, leurs vis-à-vis allochtones ont empoché 178 $», peut-on lire dans une analyse de la firme torontoise Canadian Charity Law publiée en 2021.

«Il est très difficile de parler de réconciliation lorsqu’il reste autant de chemin à parcourir, souligne Manuel Litalien, professeur agrégé en développement social à l’Université de Nipissing et codirecteur de la branche ontarienne du PhiLab, le Réseau canadien de recherche partenariale sur la philanthropie. Le système de redistribution des fonds philanthropiques n’est manifestement pas équitable, ce qui est plus que jamais un problème.»