Les campagnes de financement conjointes, sources de défis
Sophie Chartier|Édition de la mi‑novembre 2023Les pratiques de mutualisation ont des effets bénéfiques sur l’efficacité des organismes. (Photo: 123RF)
PHILANTROPIE. Il est indéniable que les pratiques de mutualisation ont des effets bénéfiques sur l’efficacité des organismes. Toutefois, il est plus difficile d’en mesurer les effets lors de collectes de fonds collectives, disent les experts interrogés.
« Si les organismes qui ont l’habitude d’aller solliciter des dons chacun de leur côté se mettent avec d’autres, est-ce qu’ils vont aller chercher le même montant, ou bien la somme de ce qu’ils auraient engrangé seuls ? On ne le mesure pas bien pour l’instant, dit Laetitia Shaigetz, présidente de la firme d’experts-conseils en philanthropie Épisode. Si, par exemple, on fait une campagne conjointe à trois organismes qui ont l’habitude de récolter chacune 50 000 $, est-ce que cette campagne va nous rapporter 50 000 $ ou 150 000 $ ? »
Il y aurait matière à étudier les effets des campagnes collectives sur le comportement des donateurs, soutient-elle. « On sait qu’ils poussent déjà en faveur de la mutualisation, dit-elle. Est-ce qu’ils se disent “bon, mettez-vous ensemble, on va pouvoir donner moins d’argent et aller en donner ailleurs parce qu’il y a d’autres besoins” ? Parce que c’est vrai qu’il y a énormément de besoins ! »
George Krump, auteur du guide « La mutualisation des ressources. Présentation et études de cas » pour le compte de Centraide du Grand Montréal, agit souvent à titre de consultant auprès d’organismes qui amorcent des démarches de mutualisation de toutes sortes. Il affirme que le type de partage sur lequel il est amené à se prononcer le plus souvent est sans hésitation celui des ressources humaines. En second lieu viennent toutes les questions matérielles, comme le partage de locaux. La notion de collecte de fonds est moins fréquente. « Il y a certainement des besoins au chapitre du financement privé, des campagnes de financement, mais je n’ai pas eu d’expérience récente dans ce volet précis, dit-il. J’en connais peu parce que c’est compliqué. Les fondations voient leurs réseaux de donateurs comme des actifs et c’est parfois difficile d’accepter de les partager avec d’autres. »
Daniel Asselin, directeur de la philanthropie de la Fondation de l’Université de Sherbrooke, se dit en faveur de la mutualisation sans hésiter. Toutefois, il est d’accord pour dire que la question des collectes en argent vient souvent brouiller les cartes. « La collecte de fonds, c’est toujours délicat parce qu’il faudra inévitablement diviser la cagnotte à la fin, dit-il. Et ça peut se transformer en sources de chicanes potentielles : qui a le plus contribué ? Sur quoi on se base pour se séparer ça ? J’ai souvenir d’exemples de réussites, cela dit, mais c’est plus rare. »
Il donne un exemple de grande campagne qui a finalement été un succès. « Mais il y a eu tellement d’accrochages de gouvernance entre chaque organisme, c’était des réunions sans fin. »
Un autre exemple inspirant, toutefois, est à son avis le Défi des générations, une grande campagne à laquelle participent depuis trois ans de nombreuses fondations du secteur de la santé. « Ça n’inclut pas les dons d’entreprises, mais c’est un début de réponse à ce qui est en train de se passer dans le marché de la philanthropie. »
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Un mystère nommé IA
« Chaque organisme devrait se doter d’un cadre de référence sur les façons d’intégrer l’intelligence artificielle (IA) dans ses opérations courantes », écrivait cet été Daniel H. Lanteigne, vice-président au talent, à la stratégie et à l’impact à BNP Performance philanthropique, dans un dossier spécial du PhiLab intitulé « Philanthropie et intelligence artificielle ». Les textes, bilingues et accessibles sur le site du PhiLab, explorent la relation d’influence entre les deux univers, dans une perspective de recherche critique.
L’un des thèmes abordés est l’utilisation d’outils générateurs de texte, comme Chat GPT, pour la rédaction de demandes de subvention et autres documents administratifs. « L’automatisation de tâches lourdes et répétitives permettrait […] aux [professionnels] de se concentrer sur les activités à forte valeur ajoutée, comme la collaboration et l’entretien de relations humaines, l’IA créant ainsi un “dividende” de temps », écrit notamment le professeur à l’Université Saint-Paul, à Ottawa, Jonathan Durand Folco, dans son texte « Le capitalisme algorithmique à l’assaut de la philanthropie ».
De leur côté, les acteurs du milieu, comme bien d’autres, surveillent la montée fulgurante de cette technologie avec un œil dubitatif. « On regarde ça arriver et on a hâte de voir quel impact ça va avoir, dit Laetitia Shaigetz. En termes de gestion de nos données issues des donateurs, on espère fort qu’on pourra en tirer parti. »