Comment intéresser les bailleurs de fonds aux causes invisibles?
Emilie Laperrière|Publié le 27 septembre 2023La Fondation Mirella et Lino Saputo s'est donné pour mission de soutenir des causes moins «populaires», comme celle des personnes vivant avec un handicap. (Photo: Nathan Anderson Unsplash)
PHILANTHROPIE. S’il est facile de lever des fonds pour les enfants malades, d’autres causes semblent invisibles. Comment fait-on pour intéresser les bailleurs de fonds à une cause qui touche moins les gens, mais qui est tout aussi essentielle, comme celle des personnes handicapées ou des communautés noires ? Des experts du milieu se prononcent.
La Fondation Mirella et Lino Saputo vient en aide aux personnes vivant avec un handicap, aux nouveaux arrivants et aux personnes âgées depuis sa création, en 1979. « On est très ancrés dans le milieu communautaire. Oui, on soutient la recherche et on répond à l’appel des causes humanitaires à l’international, mais on travaille surtout avec les organismes communautaires pour rejoindre le plus de gens possible », précise le vice-président directeur, Francesco Miele.
De l’aveu même de ce dernier, ces trois causes font moins de bruit. « Ce sont des causes qui ne sont pas vraiment revendicatrices. Je vois rarement la FADOQ mettre de la pression sociale », illustre-t-il.
Un très faible pourcentage des fonds philanthropiques leur est d’ailleurs consacré. Pourtant, comme le relève Francesco Miele, les enjeux sont similaires. L’accès aux services, la crise du logement social, la discrimination, l’isolement, le manque d’équité ou l’abus touchent d’autres populations. « Les personnes âgées et handicapées vivent les mêmes réalités, mais de façon encore plus difficile. »
Selon Laetitia Shaigetz, présidente de la firme d’experts-conseils Épisode, la capacité des organismes à aller chercher des subventions reste inégale. « Il y aura toujours des causes plus populaires, et d’autres, moins. »
Pour remédier à la situation, la Fondation Mirella et Lino Saputo travaille sur le terrain. « On va dans les centres d’action bénévole ou dans les popotes roulantes, on appuie les parents d’enfants handicapés pour leur donner du répit… »
Certains projets de l’organisme permettent en outre de combiner les causes. Elle a par exemple soutenu un groupe d’aînés qui voulait aider une douzaine de familles ukrainiennes à s’intégrer dans leur paroisse.
Les communautés noires, ces oubliées
L’injustice est aussi palpable du côté des communautés noires. Selon les données de la Fondation pour les communautés noires, basée à Toronto, seulement 0,03 % de tous les fonds octroyés par les dix plus grandes fondations du pays ont été versés à des organismes dirigés par des Noirs. À peine plus, soit 0,13 % de ce montant a été versé à des organismes desservant des populations noires.
Sans parler de révolution, un courant mené par des enjeux sociaux se pointe en philanthropie. « En plus de la Fondation pour les communautés noires, il y a beaucoup de programmes en lien avec l’égalité des genres, le Fonds de résilience des peuples autochtones. La philanthropie n’est pas déconnectée des préoccupations de la société », assure Daniel Lanteigne, président du conseil d’administration de l’Association des professionnels en philanthropie (AFP) Québec.
Le PhiLab Québec remarque que les choses changent, lentement. « De plus en plus de fondations intègrent des perspectives de genre ou de “race” pour diriger plus de fonds vers des communautés victimes d’injustices sociales, précise son coordonnateur, David Grant-Poitras. Elles vont ainsi acheminer plus de dons pour des organismes dirigés par et pour des communautés noires, par et pour des communautés autochtones, par et pour des femmes, etc. »
La Fondation du Grand Montréal s’est ainsi donné comme objectif, depuis 2022, de verser au moins 50 % de ses subventions annuelles à des organismes dirigés par ou pour les grands oubliés de la philanthropie, que ce soit les populations de la diversité, les femmes ou les personnes avec des limitations fonctionnelles. « Dans la première année, on a dépassé notre but. On est à 68 %. Donc, à partir du moment où on veut le faire, on peut », lance son président, Karel Mayrand.
Des efforts pour l’action climatique
Alors que la crise climatique est le problème du siècle, comme le souligne David Grant-Poitras, le financement philanthropique y étant destiné n’était pas au rendez-vous jusqu’à récemment. « Seulement 2 % du financement philanthropique total était consacré à l’environnement, déplore-t-il, et une part très négligeable de ce 2 % allait à la lutte contre les changements climatiques. »
Il ajoute qu’au Québec, le milieu philanthropique épaule de plus en plus de groupes et d’organismes écologiques, notamment ceux qui sont engagés dans la lutte contre les changements climatiques. « On voit ainsi des initiatives telles que Mères au front, le Front commun pour la transition écologique et Transition en commun être appuyées par des fondations. »
L’urgence climatique n’est plus seulement dans la cour de la Fondation David Suzuki ou d’Équiterre, relève pour sa part Daniel Lanteigne. « Chaque organisme doit jouer son rôle. Jeunesse au soleil a notamment un projet carbone zéro. »
Près d’une cinquantaine de fondations canadiennes ont également signé l’Engagement de la philanthropie canadienne pour le climat. Le mouvement est en marche.
Cet article a été publié dans notre édition du 10 mai 2023.