La particularité de Cynthia Fleury, depuis longtemps, est d’avoir joint le geste à la parole. Comme psychanalyste, elle qui fut membre de la cellule d’urgence médico-psychologique du Samu de Paris. Et comme enseignante. (Photo: JeanAlix21, Wikimedia Commons)
Que peut la philosophie? Dans un monde qui ne prend plus le temps de penser, la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury pense qu’elle peut beaucoup: nous faire réclamer «une vie décente».
L’année a été riche pour cette chercheuse, qui a publié deux livres. D’abord Un été avec Jankélévitch en mai, où elle reprenait un podcast pour France Inter sur le philosophe Vladimir Jankélévitch (1903-1985). Puis l’essai La Clinique de la dignité en août, réflexion sur notre exigence de mener une vie digne.
Dense, complexe, citant des auteurs peu connus du grand public, l’ouvrage peut dérouter tous ceux qui écoutent cette femme si claire quand elle s’exprime à la radio, comme quand elle était invitée, à nouveau, sur France Inter le 21 décembre.
Elle y décrivait «une peur, qui revient de façon très forte, de se dire, chez les individus: mon Dieu, demain, alors que j’étais un peu tranquille, je risque de basculer dans une vie que je juge indigne». Et de citer la crainte de pandémies, de catastrophes climatiques, de grandes migrations, de violences politiques, etc.
La Clinique de la dignité (éditions du Seuil) est un plaidoyer pour que ce besoin soit au cœur de l’action des pouvoirs politiques.
«Les politiques publiques doivent être garantes d’une vie décente, pas nécessairement d’une vie heureuse, mais d’une vie décente, une vie qui me sort de l’obligation de survie. Voilà ce que c’est que la dignité. C’est d’avoir la possibilité que je reste agent de ma vie», déclare la philosophe à l’AFP.
Ou, comme elle l’écrit, «sont indignes, non pas celles et ceux qui vivent dans des conditions indignes, mais bien celles et ceux qui produisent et tolèrent ces conditions. En ce sens, qu’on le veuille ou non, l’indignité est l’affaire de tous».
Le geste et la parole
La particularité de Cynthia Fleury, depuis longtemps, est d’avoir joint le geste à la parole. Comme psychanalyste, elle qui fut membre de la cellule d’urgence médico-psychologique du Samu de Paris. Et comme enseignante.
«Mes étudiants ne sont pas nécessairement philosophes: ils sont médecins, ingénieurs, designers, architectes, psychologues cliniciens, etc.», relève-t-elle. Ils façonneront le monde de demain.
Cette «clinique» qu’elle préconise vise les plus vulnérables: dépendants, exclus, malades.
Elle-même y travaille depuis la «chaire de philosophie à l’hôpital», dont elle est la titulaire, au Groupe hospitalier et universitaire de Paris, psychiatrie et neurosciences, l’établissement public qui gère l’hôpital Sainte-Anne.
«Nous essayons de mettre en œuvre cette clinique de la dignité, en pratiquant par exemple une théorie de la conception à partir du point de vue du plus vulnérable» et, idéalement, en trouvant, «avec les patients, les soignants, les familles, des protocoles alternatifs à la contention mécanique et chimique», explique Cynthia Fleury.
Elle reçoit aussi toujours en consultation, «trop», avouait-elle à la radio.
Parmi «tous ceux qui ont subi des traumatismes profonds dans l’enfance, des viols, de l’inceste, des abus… certains d’entre eux finissent par intérioriser le sentiment d’indignité, de croire qu’ils sont indignes», affirme-t-elle à l’AFP. «Mon premier travail est de restaurer chez le sujet le symbolique, en lui disant: votre dignité, personne ne peut vous l’enlever, vous êtes l’Immaculée Conception, entre guillemets».