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Le marketing en économie sociale: de l’éthique à l’étiquette

Le courrier des lecteurs|Publié le 10 octobre 2023

Le marketing en économie sociale: de l’éthique à l’étiquette

Les OBNL, les coopératives et les mutuelles ont tout intérêt à apprivoiser les meilleures stratégies menant à la vente ou à l’échange de leurs produits. (Photo: 123RF)

 

Un texte de Johanne Morin, agente de développement et de mobilisation, ESSOR 02, pôle d’économie sociale au Saguenay – Lac-Saint-Jean

 

COURRIER DES LECTEURS. Nous constatons que l’utilisation de la notion de marketing est souvent associée aux seuls moyens mis à la disposition de l’entreprise pour faire connaître et placer son produit. Bien qu’elle ne devrait pas s’y limiter, cette conception axée sur la communication force à intellectualiser quelques contradictions avec les valeurs véhiculées par l’économie sociale.

Pourtant, apprendre à conjuguer avec la dualité qui oppose le profit et la finalité sociale permet non seulement de renforcer la pérennité des activités marchandes, mais aussi de mobiliser et maintenir l’engagement de sa communauté. 

 

De quoi on parle?

Partons du concept simplifié que le marketing se traduit par l’ensemble des actions posées par une entreprise pour se positionner sur les marchés (le market), dans le but d’accroître ses ventes. Qu’elle soit orientée vers la clientèle, le produit ou le besoin, la stratégie se doit de convaincre toutes les parties prenantes de l’importance du maintien de l’entreprise dans la chaîne de valeur.  

Plusieurs associent les techniques utilisées pour y parvenir comme autant de manipulations visant à remettre en question la capacité des individus à faire leurs propres choix. On a tous des exemples en tête où les techniques de dissuasion et les formules de propagande aux apparences trompeuses et abusives semblent vouloir prendre en otage la liberté de penser ou d’agir des individus.  

Face à ce constat, les acteurs et actrices de l’économie sociale se questionnent sur la pertinence de l’action marketing. En effet, dans un contexte où les valeurs de l’ÉS reposent, par exemple, sur la valorisation du pouvoir d’agir, l’intégrité et le respect des droits de la personne, il est juste et vertueux de vouloir se dissocier des pratiques limitant leur épanouissement! 

Étendant son influence bien au-delà de la promotion, le déploiement d’une stratégie marketing force à réfléchir à la meilleure synergie possible entre 5 éléments bien précis: le produit, le prix, la distribution, le service à la clientèle et la communication. La réussite de la mise en marché dépend donc de l’attention accordée à chacune de ces composantes, et à l’harmonie que nous réussirons à créer entre elles.

Les entreprises d’économie sociale (EÉS) méritent néanmoins de réfléchir ces éléments comme autant de subtilités à appliquer dans des sphères dépassant la simple logique « marchande ». 

 

Apprendre à déborder des concepts traditionnels

Le produit est généralement l’élément central autour duquel toutes les activités tournent. Il représente la clé qui permet à la structure de générer du profit. Les OBNL, les coopératives et les mutuelles, qui ne trouvent pas leur raison d’être dans cette recherche de profit, ne sont pourtant pas affranchies de tout raisonnement commercial. Pour satisfaire le caractère de viabilité que leur confère la loi, elles ont, certes, tout intérêt à apprivoiser les meilleures stratégies menant à la vente ou à l’échange de leurs produits. Mais nous croyons que plus d’EÉS gagneraient à faire l’exercice de trouver le marché qui conviendra aussi à placer leur mission et leurs valeurs. 

Entre l’éthique et l’étiquette se cache l’inévitable travail de recherche de sens, qui permet d’exprimer toute la créativité et la capacité d’innover des EÉS. Sachant que la détermination des prix, par exemple, nécessite de réfléchir à la perception du produit que s’en feront les parties prenantes (en se demandant vers qui nous le dirigeons), pourquoi ne pas en profiter pour se demander aussi qui adhèrera à cette mission (avec toutes les questions sous-jacentes que cela implique)? 

Face à la double vocation des projets en ÉS (répondre à un besoin et vendre ou échanger un produit), la stratégie marketing devrait donc constamment s’efforcer de s’approprier les concepts de produit, de client et de distribution sous une perspective augmentée. Cette recherche d’équilibre entre les différentes composantes de la raison d’être de l’entreprise, ainsi que leur interrelation, complexifie l’élaboration des stratégies marketing. En effet, un produit bien placé ne permettra pas à lui seul d’assumer et de réaliser la mission sociale de l’entreprise. Pareillement, on peut se demander si une mission bien comprise et considérée essentielle par le milieu suffira à vendre le produit qui financera sa réalisation. 

Une bonne stratégie marketing a le pouvoir d’influencer sur la valeur qu’une clientèle accorde à un produit (ou les parties prenantes face à la mission), incluant l’estimation des ressources qu’elle voudra bien investir pour se le procurer. Ainsi, les actions qui lui sont conférées doivent s’efforcer de justifier le prix de vente, d’établir les conditions d’achat, et de déterminer, dans le cas des EÉS, les modalités d’adhésion, et les bénéfices de l’engagement. Autrement dit, on lui attribuera la responsabilité d’influencer sur le développement et le maintien de l’engagement collectif, et d’orienter les actions en fonction de ce qu’on souhaite que la communauté investisse en échange de ce que nous lui offrons.

Le marketing peut donc ainsi se mettre au service du renouvellement de notre membrariat, de notre intégration aux priorités de développement local ou de notre ancrage dans la communauté qui nous accueille, et, même, contribuer à attirer les talents qui nous aideront à accomplir nos actions.