«Les sciences sociales et l’Histoire sont très claires: l’activisme de rupture est le moyen le plus rapide d’initier un changement», martèle Margaret Klein Salamon, diplômée d’Harvard. (Photo: Getty Images)
New York — Durant des années, Margaret Klein Salamon a, comme beaucoup d’activistes climatiques, travaillé en coulisses pour laborieusement chercher à convaincre des responsables politiques. Aujourd’hui, elle a changé d’approche: l’Américaine dirige un fonds qui finance exclusivement des groupes prônant la désobéissance civile.
«C’est la manière la plus rentable, et tout simplement la plus efficace, de faire rapidement évoluer les politiques et l’opinion publiques», déclare à l’AFP la New-Yorkaise, 37 ans, lors d’une interview dans son quartier de Brooklyn.
Le Climate Emergency Fund, dont elle est la directrice exécutive, a été co-fondé en 2019 notamment par la réalisatrice Rory Kennedy (nièce du président) et Aileen Getty (petite-fille du magnat du pétrole). À son conseil d’administration, une autre célébrité: Adam McKay, réalisateur du film «Don’t look up: Déni cosmique». Il est aussi le plus gros donateur.
En 2022, le fonds a distribué 5 millions de dollars à des groupes comme Just stop Oil, Extinction Rebellion, Scientist Rebellion, Dernière Rénovation en France, ou Letzte Generation (Dernière Génération) en Allemagne.
Ils sont à l’origine d’actions choc: blocages de routes et d’aéroports par des militants se collant les mains au sol, perturbations d’événements sportifs, soupe ou peinture lancées sur des œuvres d’art…
Autant d’opérations spectaculaires accusées par certains de nuire à la cause.
Mais pour Margaret Klein Salamon, autrice de Facing the climate emergency (Faire face à l’urgence climatique, 2020, non traduit), leur nécessité ne fait aucun doute.
«Les sciences sociales et l’Histoire sont très claires: l’activisme de rupture est le moyen le plus rapide d’initier un changement», martèle la diplômée d’Harvard.
«Quelles stratégies des suffragettes, des mouvements pour les droits civiques ou contre le Sida, sont allées trop loin?», demande-t-elle, provocatrice. «Ces tactiques ont-elles aliéné le public de façon contre-productive?»
Selon elle, l’argument ne tient pas: «Qu’on me présente une personne disant, “j’étais inquiète pour le climat, mais maintenant que ces manifestants utilisent ces tactiques, je m’en fiche”».
«Urgence»
Tout l’enjeu, dit-elle, est en effet de rendre le problème le plus visible et présent possible à l’esprit des électeurs. Mais aussi que le sentiment «d’urgence climatique» des activistes devienne «contagieux».
«Les humains évaluent le risque socialement, non rationnellement», explique cette psychologue de formation, qui a effectué un complet virage de carrière après avoir vu la dévastation causée par l’ouragan Sandy à New York en 2012.
Lorsqu’une alarme incendie se déclenche dans un bureau, si tout le monde reste calme, vous penserez à une fausse alerte, compare-t-elle. Mais si tous, en particulier vos responsables, vous exhortent à sortir, vous prendrez le danger au sérieux.
Une telle prise de conscience générale peut survenir «très rapidement», soutient-elle, et déclencher un basculement vers un «mode urgence».
À cette condition seulement, une mobilisation massive des ressources sera possible, estime-t-elle, à l’image des mesures prises durant la Seconde Guerre mondiale ou la crise de la COVID.
Les activistes veulent casser «l’illusion de masse de normalité», selon laquelle la vie pourrait continuer normalement, souligne Margaret Klein Salamon.
Ils visent «le public désengagé, passif» — mais aussi les décideurs, avec des résultats concrets, fait-elle valoir.
Joe Manchin, sénateur américain dont le vote était clé pour faire adopter la grande loi climatique de Joe Biden, l’IRA, a été poursuivi par des manifestants durant des mois, bloquant sa voiture, son bateau… Le fonds a dépensé environ 200 000 dollars pour les soutenir.
Sachant que l’IRA prévoit 370 milliards d’investissements, même si les manifestants ont contribué «à 2%» au soutien surprise du sénateur, «le retour sur investissement n’a pas d’équivalent», assure-t-elle.
Impopulaires
Pourtant, «beaucoup d’argent est injecté pour le climat, mais moins pour l’activisme climatique», regrette Margaret Klein Salamon.
Ce qu’elle appelle le «mouvement réformiste gradualiste», œuvrant depuis «l’intérieur du système» et incarné par des organisations comme Greenpeace, «a été dominant depuis des décennies», déplore-t-elle.
Elle dit avoir «rapidement réalisé l’importance des levées de fonds» pour de jeunes organisations. Et se considère particulièrement utile dans ce rôle «très impopulaire», elle qui, paradoxalement, supporte mal les manifestations.
N’ayant jamais été arrêtée, elle dit «admirer» les militants «incroyablement courageux», dont certains font de la prison.
Les groupes soutenus par son fonds s’engagent à être non violents, souligne-t-elle, en condamnant la répression grandissante des gouvernements.
Mais la désapprobation du grand public, elle, n’est pas vue comme un problème: «Ce n’est pas un concours de popularité.»
Selon elle, l’énervement ressenti par les gens est similaire à celui d’un somnambule réveillé dans son sommeil, alors qu’il marche vers un précipice.
«Personne n’aime être réveillé en étant secoué», admet-elle. Mais les activistes «sont là pour nous sauver d’un sort bien pire que celui d’être secoué».
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