Les organisations axées sur la pauvreté et la sécurité alimentaire ont connu une forte augmentation de la demande, souligne Diane Alalouf-Hall. (Photo: Ev Unsplash)
PHILANTHROPIE. Profondément chamboulé par la pandémie, le milieu philanthropique tente désormais de redéfinir sa nouvelle normalité. De la situation économique à la pénurie de main-d’œuvre en passant par les inégalités sociales, les besoins sont criants. Des changements récents pourraient toutefois venir soutenir le secteur et permettre de débloquer plus de fonds. Les Affaires creuse la question.
Même si les organismes philanthropiques n’opèrent plus dans l’urgence, comme c’était le cas au plus fort de la crise sanitaire, les intervenants hésitent à parler d’un retour à la normale.
« Certains secteurs ont été particulièrement affectés par la pandémie et continuent de faire face à des défis importants », souligne Diane Alalouf-Hall, directrice du PhiLab Québec, un réseau de recherche sur la philanthropie au Canada basé à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
Elle donne en exemple les organismes culturels et les arts de la scène, qui ont souffert de la fermeture prolongée des salles et des restrictions sur les rassemblements publics. Résultat : les revenus de billetterie et le soutien financier ont fondu comme neige au soleil.
« Les organisations philanthropiques axées sur la pauvreté et la sécurité alimentaire ont pour leur part connu une forte augmentation de la demande et des dons de la part du public », ajoute Diane Alalouf-Hall. Celle-ci rappelle que selon Moisson Montréal, la demande pour les banques alimentaires a crû d’au moins 30 % dans la région métropolitaine depuis mars 2020.
Des défis subsistent
Daniel Lanteigne constate de son côté que plusieurs organismes sont restés « en mode créatif » pour dénicher davantage de sources de financement. « Comme pour tout le monde, leurs coûts ont augmenté. La pression aussi. On a quand même retrouvé un certain dynamisme prépandémie », estime le président du conseil d’administration de l’Association des professionnels en philanthropie (AFP) Québec.
L’exode des bénévoles fait encore mal au secteur. « Les retraités ont déserté les organisations parce qu’ils étaient très à risque de contracter la COVID et ils ne reviennent pas en courant », remarque Daniel Lanteigne.
Il souligne également que la question de la capacité financière est criante. « Les personnes qui cognent aux portes des organismes sont plus nombreuses, mais ceux-ci ont moins de personnel et moins d’argent pour faire ce qu’ils ont à faire. » Alors que le don moyen reste stable, les subventions gouvernementales ont diminué. Interligne (autrefois Gai Écoute) a notamment dû lancer une campagne de relations publiques pour éviter la fermeture de son service de nuit.
Selon Laetitia Shaigetz, présidente de la firme d’experts-conseils en philanthropie Épisode, le contexte actuel entraînera un assainissement des fondations. « Ça amènera certaines fondations à fusionner. Des organismes qui ont la même mission que d’autres sur le même territoire pourraient aussi disparaître », croit-elle. Celles qui ont développé leur agilité, tant à la permanence qu’à la gouvernance, ont toutefois la capacité de rebondir et de changer leurs façons de faire pour devenir plus efficientes.
Un fonds bienvenu
Dans ce contexte incertain, il n’est pas étonnant que le milieu de la philanthropie ait poussé un soupir de soulagement à l’annonce du Fonds de relance des services communautaires (FRSC). Cet investissement unique de 400 M$ du gouvernement du Canada aidera les organismes de bienfaisance et les organismes sans but lucratif à s’adapter dans un contexte de relance postpandémique.
Les intéressés avaient jusqu’au 21 février pour soumettre leur demande. Les résultats seront connus dans les prochaines semaines.
« Le FRSC offre une assistance financière et des formations pour aider les organismes communautaires à s’adapter et à poursuivre leur mission. Il vise également à favoriser l’innovation sociale et le renforcement de l’économie sociale au Québec », résume Diane Alalouf-Hall. Celle-ci estime qu’en matière de soutien direct, le FRSC est une initiative innovante pour répondre urgemment à des besoins de la collectivité en réduisant les intermédiaires.
Daniel Lanteigne partage son avis. « C’est une excellente nouvelle. Ça va permettre aux organisations de se structurer, de travailler de manière plus efficace et d’en faire plus pour la communauté. Le FRSC leur donne le temps de réfléchir et de rêver. »
Depuis l’annonce du gouvernement fédéral, le téléphone ne dérougit pas dans les bureaux d’Épisode. « On a eu tellement d’appels d’organismes qui étaient à la course aux subventions ! Je pense qu’il y aura beaucoup plus d’appelés que d’élus. On compte quand même 90 000 organismes enregistrés au Canada », relève Laetitia Shaigetz.
Reste en effet à voir combien d’organismes se partageront le gâteau et quelle sera la grosseur de chaque part. « Si on distribue des 5000 $ ou des 10 000 $ à droite, à gauche, ça aura été un coup d’épée dans l’eau. » Laetitia Shaigetz espère que, au-delà du FRSC, des initiatives qui ne freinent pas seulement l’hémorragie, mais qui perdurent, verront le jour.