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Une distribution plus généreuse des ressources

Emilie Laperrière|Édition de la mi‑mai 2023

Une distribution plus généreuse des ressources

Depuis 2008, l’ensemble des actifs des fondations publiques et privées a significativement augmenté. (Photo: Joel Muniz Unsplash)

PHILANTHROPIE. Les fondations privées et publiques du Canada possédaient ensemble 123 milliards de dollars (G$) d’actifs en 2020. Des voix se sont levées dans les dernières années pour qu’elles distribuent plus généreusement leurs avoirs. C’est désormais chose faite.

Le 1er janvier 2023, le contingent de versement (ou quota de décaissement) des fondations est passé de 3,5 % à 5 % de la valeur de leurs immobilisations. En d’autres mots, celles-ci devront désormais toutes distribuer chaque année au minimum 5 % de leur actif net moyen annuel en dons et en subventions. 

Diane Alalouf-Hall, directrice du PhiLab Québec, rappelle que cette initiative ne sort pas de nulle part. « Plus de 70 fondations canadiennes avaient répondu à l’appel GIVE5/DONNEZ5 en mars 2020 pour faire face à l’urgence causée par la COVID-19. Cette initiative invitait les fondations à donner et à établir le plancher de leurs dons à au moins 5 % de leur capital. Nombre d’entre elles ont relevé le défi et ont effectivement élevé leurs dons de bienfaisance à 5 % », explique-t-elle. 

Depuis 2008, l’ensemble des actifs des fondations publiques et privées a significativement augmenté, à l’exception de quelques cas particuliers. « Au cours des dernières décennies, différentes politiques fiscales incitatives ont favorisé la croissance des actifs des fondations au Canada, souligne-t-elle. Actuellement, on observe une accumulation de richesses inexploitées dans les coffres des fondations. » 

Selon Imagine Canada, « environ 500 millions de dollars supplémentaires, provenant principalement des actifs des fondations privées, auraient été mis à la disposition du secteur caritatif » si cette obligation avait eu lieu en 2019. Le ministère des Finances estime pour sa part que ça pourrait se traduire par des dépenses supplémentaires de 1 G$ à 2 G$ par année de la part des fondations.

 

Un tournant 

Comme l’explique le président de la Fondation du Grand Montréal, Karel Mayrand, l’effet de la hausse peut varier. « Plusieurs fondations ont eu des rendements, dans les dernières années, qui ont dépassé les 10%. Ça a permis de faire croître les fonds de dotation. Si on observe des rendements négatifs sur une longue période, elles devront piger dans leur capital », résume-t-il. Pour l’éviter, les fondations devront trouver comment mieux performer sur les marchés. 

«Je pense que l’Agence du revenu du Canada aurait pu aller plus loin. Ce modèle d’affaires de la philanthropie, qui sert à obtenir des rendements, est appelé à changer.» Afin que ses actifs concordent avec ses valeurs, la Fondation du Grand Montréal s’efforce par exemple de décarboner ses placements et de développer tout un volet d’investissement responsable. 

Pour la Fondation Mirella et Lino Saputo, la hausse du contingent de versements représente un tournant. « Ce 43 % d’augmentation est fort important pour nous, remarque le vice-président directeur Francesco Miele. Le gouvernement a demandé aux fondations comme la nôtre d’en faire plus. » La Fondation profitera de l’occasion pour diversifier ses façons de faire, lancer plus d’appels à projets et élargir sa mission. 

Étonnamment, malgré les besoins pressants, ce ne sont pas tous les organismes qui sont prêts à recevoir plus d’argent, selon Francesco Miele. «On a beau avoir des projets, les organismes sollicitent ce qu’ils ont la capacité de traiter avec l’expertise à leur disposition. On forcera donc des programmes de partenariat entre les organismes pour avoir des demandes plus importantes.»

 

Planifier sa sortie

De l’avis de Daniel Lanteigne, président de l’Association des professionnels en philanthropie (AFP) Québec, cette mesure ébranle le modèle de perpétuité. «On a mis en place une structure fiscale de fondation, mais pas nécessairement pour que celle-ci fonctionne durant des millénaires, avance-t-il. Le but, c’est de répondre aux besoins sociaux actuels. La demande est là aujourd’hui, pas dans 20 ans.» 

Le président remarque que certaines fondations travaillent sur un plan de décaissement qui fera en sorte qu’elles auront liquidé l’ensemble de leurs actifs d’ici un nombre x d’années. «Elles considèrent que l’urgence nécessite une réponse maintenant. C’est inspirant.» 

L’Ivey Foundation, une des plus vieilles fondations familiales privées du pays, entend par exemple répartir sa dotation de 100 millions de dollars entre des organismes qui luttent contre la crise climatique et fermer ses portes en 2027. 

Selon la directrice du PhiLab Québec, les organismes de justice sociale et de justice environnementale doivent obtenir un coup de pouce supplémentaire. « En augmentant le montant minimum que les fondations doivent dépenser, le gouvernement cherche à éviter une accumulation excessive de richesse qui pourrait profiter à l’ensemble de la population. » 

Bref, même si la mesure est passée sous le radar, la hausse du contingent de versement est un sujet de société.