La conférence TechAide de Centraide du Grand Montréal a permis de générer plus de 125 000 $ en dons. Sur notre photo, Hugo Larochelle, responsable de Google Brain à Montréal
PHILANTHROPIE. Le milieu philanthropique vit actuellement une transition imposée par le transfert des générations. Un virage qui ébranle le fonctionnement et les méthodes de la grande majorité des fondations et des organismes de charité de tout le pays.
Parlez-en à Centraide du Grand Montréal qui, depuis trois ans, modifie ses méthodes de collectes de fonds afin de s’adapter aux attentes des donateurs âgés de 54 ans et moins.
Cette organisation, qui soutient plus de 350 organismes et projets afin de lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, profite depuis près de 50 ans de la précieuse collaboration des entreprises. Au cours de la dernière décennie, quelque 1 000 campagnes annuelles en milieu de travail ont permis à Centraide du Grand Montréal de recueillir des dons, entre autres, par des retenues à la source.
Mais voilà, ce modèle a commencé à battre de l’aile. Après avoir atteint un montant record de 58,3 millions de dollars en 2012, la récolte de dons annuels a diminué : 1 M $ de moins par-ci, 1 M $ de moins par-là… en 2015, les dons sont passés sous la barre des 54,3 M $. En deçà du montant amassé en pleine crise économique en 2009.
«Les choix philanthropiques imposés par les chefs d’entreprise et les hautes directions se sont vus critiqués et débattus par les employés. Principalement par des X et des Y qui exigent désormais plus de transparence sur l’impact que génèrent leurs dons», observe Daniel Asselin, président de la firme Épisode.
«Des indicateurs nous ont en effet montré qu’il fallait revoir nos méthodes si on souhaitait renouer avec la croissance. Il nous fallait développer une stratégie de fonds d’impacts», reconnaît Yannick Elliott, vice-président, Développement philanthropique à Centraide du Grand Montréal. À ce propos, l’organisation a bénéficié du soutien de la firme-conseil McKinsey qui, pro bono, a dressé un diagnostic et des solutions pour que Centraide du Grand Montréal s’adapte aux nouvelles cultures d’entreprises.
Résultats ? Depuis 2015, l’organisation offre plus de flexibilité à ses donateurs en milieu de travail. «Nous avons introduit quatre champs d’action, dont le soutien à la réussite des jeunes, ainsi que des soutiens pour assurer l’essentiel, pour empêcher l’isolement social et pour favoriser la mise en place de milieux de vie rassembleurs», explique M. Elliott, lui-même issu de la génération X.
Un virage qui est aussi numérique
L’organisation s’implique aussi davantage pour aider les entreprises à faire du bénévolat en milieu communautaire. Une forme de don qui rejoint particulièrement plus d’un Y sur quatre et plus d’un Z sur trois. En 2018, ce sont plus de 200 activités de bénévolat qui ont été chapeautées par Centraide du Grand Montréal, soit sept fois plus d’activités qu’il y a dix ans.
«Le transfert générationnel, c’est aussi un virage numérique que n’ont pas le choix d’adopter des organisations comme la nôtre», ajoute M. Elliott. Ce virage numérique qui implique l’acquisition d’outils et l’embauche de personnel qualifié a toutefois un coût élevé, dit-il. Ce qui a motivé Centraide du Grand Montréal à créer le mouvement TechAide afin de se rapprocher de la communauté d’experts en technologie numérique et de la sensibiliser aux actions de l’organisation. Présentée pour la première fois en avril 2018, une conférence TechAide consacrée à l’intelligence artificielle a permis de réunir plus de 500 participants, ajoute Yannick Elliott. Cette conférence a généré plus de 125 000 $ en dons et plus d’une centaine d’heures en bénévolat de la part d’experts en technologie numérique.
Jusqu’à maintenant, les efforts menés par Centraide du Grand Montréal ont payé. Les dons sont à la hausse depuis 2016. L’année 2018 s’est soldée par un montant de 57,5 M $.
Tout comme le constatent la plupart des fondations et organismes de charité, le transfert générationnel se traduit par une hausse du nombre d’entreprises à se doter d’une politique officielle de dons et de commandites. Selon l’étude d’Épisode, ce nombre a augmenté d’au moins 10 % au cours des cinq dernières années.
Actuellement, 87 % des grandes entreprises présentes au Québec détiennent ce type de politique. Chez Bell Canada, par exemple, les employés peuvent soutenir la cause de leur choix parmi plus de 8 000 organismes au pays. Une politique que souhaite également adopter cette année la fintech lavalloise Croesus. L’entreprise veut permettre à chacun de ses employés de choisir la cause qui leur tient à coeur, fait savoir Lucie Laliberté, directrice des projets spéciaux chez Croesus.
Quatre grandes entreprises sur dix ont même créé leur propre fondation, fait remarquer M. Asselin. De cette façon, précise-t-il, les entreprises peuvent s’assurer d’effectuer une meilleure distribution des dons et d’avoir un impact accru en matière de rendement de l’investissement.
Le gros travail qui attend toutefois les fondations et les organismes de charité sera d’inciter les PME à se doter d’une telle politique… et à en bénéficier. Les PME, particulièrement celles de deuxième génération et plus, sont considérées comme de potentiels donateurs. Or, à peine une PME sur 10 (8 %) détient une telle politique, peut-on lire dans l’étude d’Épisode.
Enfin, ce transfert générationnel jumelé à une croissance accrue du nombre de causes à soutenir rend le travail des fondations et des organismes de charité beaucoup plus ardu. Il y a une quinzaine d’années, une période de trois à six mois suffisait pour qu’un organisme négocie un don avec un donateur majeur, signale Christian Bolduc, PDG de BNP Performance philanthropique. «Aujourd’hui, il faut près d’une année, voire parfois jusqu’à trois ans pour obtenir le don majeur souhaité.»