Formateurs: comment s’adapter au tsunami de demandes
Philippe Jean Poirier|Édition de la mi‑juin 2020(Photo: 123RF)
FORMATION. Comment les formateurs – qu’ils soient indépendants, rattachés à une institution d’enseignement ou regroupés dans une entreprise – s’adaptent-ils à une demande accrue de leurs services, de surcroît dans un contexte de télétravail généralisé et de règles sanitaires strictes ?
Mathieu Dumont, qui est directeur de l’exploitation du site de formation en ligne Didacte, une plateforme qui permet aux PME et aux formateurs indépendants d’héberger et d’organiser leurs contenus de formation, a été aux premières loges de la ruée aux formations résultant de l’annonce du Programme actions concertées pour le maintien en emploi (PACME). «La courbe d’apprentissage des formateurs a été excessivement abrupte, raconte-t-il. Les deux premières semaines se sont déroulées en mode panique. En discutant avec plusieurs formateurs, on se rendait compte qu’ils ne cherchaient pas vraiment un outil pédagogique, mais simplement une plateforme de rencontre.»
Les besoins se sont toutefois raffinés au fil des semaines. Des formateurs «traditionnels» ont constaté que l’application Zoom n’était pas l’outil idéal pour offrir du contenu «asynchrone», partager des documents et valider des acquis auprès de leurs apprenants. «La mentalité des formateurs a plus évolué en deux mois que ce que je vois sur le marché depuis cinq ans !», constate Mathieu Dumont.
Pour compliquer la vie des formateurs, les fonds du PACME ont été rapidement épuisés, et plusieurs entreprises ont décidé de ne pas donner suite à leur projet de formation. La conférencière et formatrice Geneviève Desautels, qui offre des services de formation en ligne par l’entremise de son entreprise illuxi, a vu une soumission ayant nécessité plus de 60 heures de travail être mise sur pause. «C’est là qu’on voit que la culture de formation que l’on a au Québec n’est pas celle des États-Unis ou de l’Europe, constate la conférencière avec une pointe d’amertume. En période de ralentissement, les budgets de formation sont les premiers qui sont coupés, alors que les besoins sont criants.»
Créer un contenu «engageant»
À l’heure actuelle, le principal défi des formateurs est de virtualiser leur contenu de formation. «On ne peut pas juste prendre une formation PowerPoint et en faire la narration dans un Webinaire. Les trois quarts des apprenants vont décrocher en moins de 30 minutes», prévient Geneviève Desautels. Son entreprise mise sur la production de contenu virtuel scénarisé, interactif et immersif, qui «génère de l’impact et de l’engagement» auprès des apprenants.
L’autre défi des formateurs est la création de contenu inédit, relativement à la littératie numérique. «Les professionnels de différents secteurs d’activités doivent désormais livrer leur prestation à distance, explique-t-elle. Des architectes, des comptables et des avocats doivent trouver le moyen de générer de l’impact à distance.»
La présidente d’illuxi donne l’exemple d’une cliente avocate qui désirait recréer l’«effet de toge» dans un contexte virtuel. «Les plaidoiries se font sur Teams et sur Zoom. Cette avocate, qui me faisait part de ses besoins de formation, réfléchissait à la manière de générer plus d’impact auprès du juge.»
Un volume sans précédent
Depuis le début de la pandémie, le secteur de formation le plus sollicité est sans doute celui de la santé et sécurité au travail. Le fabricant de formation en ligne Medial a produit six nouvelles formations «asynchrones» pour son site LeCampus. «Nous avons livré des contenus dans des délais extrêmement serrés, parfois à moins d’une semaine d’avis, raconte Marcel Curodeau, président de Medial. Précisons que nous avions déjà les contenus fondamentaux. Le défi était de les adapter aux différents contextes.»
Pour Marcel Curodeau, le véritable défi auquel fait face la société en matière de formation de santé et sécurité est celui du nombre de personnes à former. «Si on voulait que tous les travailleurs aient une bonne formation en santé et en sécurité, on n’a tout simplement pas le personnel disponible pour faire cela. Et c’est complètement irréaliste de prétendre le contraire. Le caractère obligatoire de ces formations rend presque indispensable le recours aux formations en ligne, de type asynchrone.»
À l’avenir, les formateurs devront continuer de parfaire leurs compétences numériques, tout en faisant preuve d’imagination pour adapter leur contenu.