Malgré les hausses, les taux d’intérêt hypothécaires sont aujourd'hui plus bas que ceux de 2008. (Photo: 123RF)
Investir dans les propriétés à revenus, peu importe la forme de l’investissement, sera encore rentable en 2023. Les investisseurs devront toutefois faire preuve de prudence pour trouver la perle rare dans un marché au ralenti et pour miser sur le rendement à long terme plutôt que sur la plus-value des immeubles.
C’est notamment le cas dans le secteur des plex (de deux à cinq logements) ainsi que dans celui des édifices multilogements. Les huit hausses successives du taux directeur de la Banque du Canada ont fortement ralenti le marché québécois en deuxième moitié de 2022.
L’incertitude économique continue de planer au-dessus du marché. La plupart des économistes des institutions financières québécoises entrevoient une récession, d’ampleur variée, d’ici la fin de l’année. L’inflation se résorbe lentement, mais la Banque du Canada a indiqué, en janvier, que si l’économie demeurait en surchauffe, elle n’hésitera pas à faire grimper son taux directeur de nouveau.
Est-ce que cela veut dire d’éviter d’investir dans les propriétés à revenus en 2023? Pas du tout, lancent les experts interrogés par Les Affaires Plus. L’incertitude macroéconomique devrait toutefois inciter les investisseurs à la prudence et à la diligence pour préserver leur rendement.
Prioriser le rendement à long terme
De nombreux investisseurs ont tenté de mettre la main sur plusieurs immeubles à logements au cours des trois dernières années, et ce, malgré la pénurie de stock. En voyant le prix des édifices augmenter à une vitesse supérieure à la normale, certains ont voulu profiter d’une plus-value rapide. Les chiffres de l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec (APCIQ) font toutefois état d’une forte baisse du prix médian des plex entre janvier 2022 et janvier 2023, celui-ci passant de 482 500$ l’an dernier à 412 500$ en début d’année (-15%).
Les ventes de plex enregistrées ont aussi reculé fortement. Elles ont diminué de 49% sur un an en 2022, et la tendance s’est poursuivie en janvier, avec un repli identique de 49%. «Les acheteurs se sont refroidis, raconte le président du Club d’investisseurs immobiliers du Québec, Yvan Cournoyer. Il y a un an, c’était la folie. Les gens offraient 200 000 $de plus que le prix affiché et achetaient sans condition. Aujourd’hui, ça se négocie plus bas. Il y a des signes que les vendeurs sont plus flexibles, même si certains veulent encore obtenir leur prix.»
Cette situation a bien sûr fait augmenter le stock de propriétés sur le marché. Il est passé de 3485 à la fin du premier trimestre de 2022 à 4183 à la fin janvier.
«Le marché ne s’effondrera pas, mais les prix devraient se stabiliser, peut-être même encore diminuer un peu selon la demande, estime Hélène Bégin, économiste principale chez Desjardins. La surenchère devrait s’évaporer et si cette prime n’est plus au rendez-vous, ça fera baisser le prix moyen.»
Tant que les taux d’intérêt ne baisseront pas, ajoute-t-elle, le marché sera à court de carburant, et un retour massif des acheteurs devra attendre. Elle favorise actuellement une reprise des ventes et une remontée des prix en 2024, mais rien de comparable avec ce que le Québec a connu pendant la pandémie.
Marché captif
L’attrait soutenu du marché du multilogement locatif vient du fait qu’il s’agit d’un marché captif pour les locataires:l’offre est de loin inférieure à la demande.
Les derniers chiffres de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) montrent des taux d’inoccupation inférieurs à 2% dans 9 des 11 plus grandes villes de la province. On considère généralement le point d’équilibre à 3%. En même temps, le prix moyen des loyers continue d’augmenter. Entre 2021 et 2022, il a grimpé de 3,5% dans la région de Québec (à 976$), de 5,4% dans la région de Montréal (1022$) et de 9,1% dans la région de Gatineau (1269$) pour les appartements de deux chambres.
«Les loyers sont élevés, les immeubles sont remplis, affirme Hélène Bégin. Les revenus courants sont au rendez-vous, il faut simplement être en mesure de soutenir les charges.»
Mathieu Lamarche, président fondateur du Groupe GDI, une entreprise de Sainte-Thérèse qui construit des édifices à logements et les gère ensuite, estime que les loyers devraient continuer d’augmenter pour les cinq prochaines années.
«C’est un secteur de l’immobilier où l’investisseur n’aura pas à se soucier ni de la demande ni des revenus, souligne-t-il. Comprenez-moi bien: il ne s’agit pas d’un placement facile. Ce n’est pas un certificat de dépôt garanti qu’on achète. Mais ce n’est pas pour rien qu’avec la volatilité des marchés boursiers, les gens se sont rués sur l’immobilier.»
Occasions
Ce qui fait que, pour ceux qui cherchent des investissements rentables du côté des propriétés à revenus, il y aura des occasions à saisir avant que le marché ne redémarre. Hélène Bégin croit toutefois que plus l’année avancera, plus il y aura de possibilités.
«Au renouvellement de leurs prêts, c’est sûr qu’une partie des emprunteurs aura de la difficulté à soutenir la nouvelle charge [des intérêts], explique-t-elle. Dans ce contexte, il y aura des édifices à vendre. Il y aura des occasions pour ceux qui ont de l’argent. La question, c’est de savoir en quel nombre elles se présenteront.»
Seulement en janvier, la firme-conseil en immobilier Ray Harvey et associés a recensé 468 portes de vendues dans la région métropolitaine de recensement de Québec. À titre comparatif, elle avait recensé 4782 portes pour l’année 2022, soit une moyenne mensuelle de 399.
«Il y a encore de très belles transactions, de très beaux immeubles avec malgré tout des rendements à considérer», maintient Philippe Arel, courtier immobilier et associé principal chez Ray Harvey et associés. Ce dernier mesure la profitabilité d’un immeuble avec un ratio entre le prix de vente et les revenus nets pour vérifier le rendement potentiel, un peu comme le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement (BAIIA) pour les entreprises cotées en Bourse. Pour l’année 2022, le ratio était de 21,8 et de 21,5 pour 2021.
«Pour les transactions réalisées au début de 2023, le rendement s’est contracté un peu parce que la composante du financement a été un peu plus imposante», révèle-t-il.
Faire ses devoirs
Il y a donc des occasions d’achat et même des perles à trouver en ce moment. Encore faut-il être en mesure de repérer les bonnes affaires et éviter un mauvais achat, estiment les experts. «C’est toujours le bon temps d’acheter pour ceux qui savent dénicher les bons immeubles et exploiter leur potentiel, croit Yvan Cournoyer. Les investisseurs aguerris restent aux aguets. Mais pour les nouveaux acheteurs, ce sera plus dur, ils ne verront peut-être pas le potentiel.»
Mathieu Lamarche, lui, met en garde les acheteurs potentiels contre deux problèmes:payer trop cher un immeuble et ne pas s’assurer de la qualité de sa construction. «Ces deux aspects vont inévitablement nuire à la rentabilité de l’acquisition, soutient-il. Il faut faire inspecter les bâtiments. C’est très important parce qu’on ne surveille pas la qualité des travaux au Québec. On peut se retrouver avec un citron.»
Son conseil? Ne pas succomber à la pression «de faire ça vite» lorsqu’on se fait dire qu’il y a plusieurs offres sur la propriété. Selon lui, s’il y a un drapeau rouge, mieux vaut sortir de là et aller voir ailleurs.
À long terme, fait valoir Hélène Bégin, les bons produits sont rentables. Et comme le stock de propriétés à vendre a augmenté depuis la deuxième moitié de 2022, les chances sont bonnes pour qu’il y ait plus de bons produits sur le marché.
Elle souligne de plus qu’il ne faut pas voir le Québec comme un marché homogène. Si le prix des plex a généralement baissé de 15% entre janvier 2022 et janvier 2023, tous les édifices de la catégorie n’ont pas subi la même dépréciation. «Tout dépend de l’endroit où l’on se trouve, dit-elle. Les prix n’ont pas baissé dans le Bas-Saint-Laurent, et c’est important de faire cette distinction. L’état du marché dans chaque localité doit être examiné de près.»
Financement
Les investisseurs devront, pour la grande majorité, composer avec les taux d’intérêt élevés, et ce, pour l’année 2023 en entier. «Le nerf de la guerre, c’est le financement, dit Philippe Arel. La valeur des financements s’est fortement contractée au cours des derniers mois et, pour ceux qui essayent d’entrer dans le marché, la facture risque d’être un peu plus salée. Il ne faut pas oublier que l’investisseur doit assumer à 100% la différence entre le prix de vente et le montant du financement.»
Ce qui veut donc dire une mise de fonds beaucoup plus imposante. Dans certains cas, note Philippe Arel, elle pourrait être doublée par rapport à la période avant les hausses du taux directeur. En dollars, le rendement restera intéressant, mais le ratio de rentabilité se retrouvera amputé.
Pour combler ce déficit relatif à la mise de fonds, Yvan Cournoyer révèle que plusieurs propriétaires d’immeubles à revenus se transforment également en prêteurs. «Certains vendeurs financent une partie de la vente, indique-t-il. Ils deviennent prêteurs privés selon leurs conditions, souvent au taux des banques plus un ou deux points pourcents, parce qu’ils sont créanciers de second rang sur la propriété.» Deux camps Hélène Bégin affirme que les investisseurs dans les propriétés à revenus camperont dans l’un des deux camps suivants en 2023: ceux qui ont besoin de financement ou ceux qui ont beaucoup de liquidités.
«Les gagnants seront ceux dont le besoin de financement sera limité, croit-elle. Pour les petits investisseurs, ceux qui doivent passer par le financement, ce sera de loin plus difficile, notamment en raison des prix élevés des propriétés ainsi que des frais de financement qui ont énormément grimpé.»
Lorsqu’on lui demande si 2023 sera propice à l’investissement immobilier, l’économiste de Desjardins fait remarquer que les taux d’intérêt hypothécaires sont actuellement plus bas que ceux de 2008. «Il faut rester positif, mais nuancé, dit-elle. Tout va dépendre du profil de l’investisseur. Beaucoup d’investisseurs ont de l’argent. Mais si on a besoin de refinancement, on parle de grosses sommes supplémentaires.»
Philippe Arel souligne également que les investisseurs qui ont un bon portefeuille de propriétés pourront puiser à même leur équité pour trouver du capital pour réaliser des acquisitions.
«S’il leur faut mettre des mises de fonds plus importantes pour les trois ou quatre prochaines années, ce ne sera pas un facteur limitant, affirme-t-il. En période de crise, ceux qui ont de bonnes liquidités sont mieux positionnés.»
Il ajoute que les investisseurs qui hésitent à replonger dans le marché des propriétés à revenus doivent considérer le coût d’op-portunité. Quelles sont les options à l’immobilier? «Qu’est-ce que vous faites avec votre argent si vous n’investissez pas en immobilier? demande-t-il. La Bourse est très volatile ces temps-ci, tandis que les valeurs des immeubles vont se maintenir.»
Autres charges
Dans le calcul de la rentabilité possible d’un immeuble, l’investisseur devra aussi tenir compte de l’inflation et de la possibilité de changements de réglementation.
Les plus notables seront les coûts liés aux rénovations que pourrait nécessiter la nouvelle acquisition, mais aussi les assurances, l’énergie et le compte de taxes.
«Les assurances ont beaucoup augmenté pour les édifices à logements, mentionne Mathieu Lamarche. Il y a eu un fléau de dégâts d’eau au Québec, et plusieurs assureurs exigent maintenant un système de coupure d’eau automatique pour limiter les dégâts.»
L’inflation a aussi eu des répercussions sur les finances des municipalités. La très grande majorité, sinon presque toutes, ont dû majorer les comptes de taxes résidentiels pour l’année fiscale 2023 en raison de la croissance des coûts engendrée par l’inflation.
«Les villes subissent des hausses de coûts et, pour l’instant, elles ne sont pas refilées à 100 % dans les comptes de taxes, fait remarquer Philippe Arel. Les municipalités vont-elles le faire? Ce sera à surveiller, car le poids de cette charge dans la structure des dépenses des immeubles est assez important.»
Propriétés à viser
Les gens qui investissent dans les plex et les multilogements n’ont pas tous la même réalité, financière ou autre.
Par contre, pour les petits investisseurs qui démarrent, Mathieu Lamarche estime qu’ils devraient commencer par un immeuble mal opéré, qui a besoin de rénovations ou dont les loyers sont trop bas.
«Lorsque j’ai commencé en 2010, ce n’était pas réalisable d’entreprendre un projet de 322 portes, comme celui que nous venons de construire à Terrebonne, souligne-t-il. J’ai commencé petit avant d’évoluer.»
À l’inverse, pour les investisseurs plus expérimentés qui ont déjà plusieurs propriétés, Mathieu Lamarche croit qu’ils devraient tenter de consolider leur parc immobilier.
«Je le suggère fortement, indique-t-il. Idéalement, il ne faut pas trop s’éparpiller. Tu veux toujours être assez proche si des problèmes surviennent. C’est aussi plus facile de gérer un seul édifice de 30 logements que dix triplex. Tu n’as pas à gérer dix comptes de taxes ou dix coquilles. Tu te déplaces une seule fois. Tu veux donc acheter le plus gros possible.»