La solution de vissage en action au siège social de Robotiq à Lévis, où les produits sont développés et assemblés. (Photo: courtoisie)
PRODUCTION MANUFACTURIÈRE. Robotiser ou ne pas robotiser l’entreprise. C’est la question que bien des manufacturiers se posent, alors que la main-d’œuvre se fait rare. Pour eux, la réponse se trouve souvent dans le rendement attendu de l’investissement. Pour certains employés, cependant, l’arrivée de robots soulève des inquiétudes.
Il s’agit d’un faux problème, soutient Carl Fugère, directeur général du Regroupement des entreprises en automatisation industrielle (REAI). «Quand on implante une technologie dans une entreprise, on amène les gens vers le haut, note-t-il. Ça permet d’automatiser les tâches qui ennuient les humains.» Non seulement l’arrivée des robots ne remplace pas les travailleurs en chair et en os, affirme-t-il, mais les entreprises qui les intègrent à leurs opérations prennent de l’expansion et embauchent plutôt des employés supplémentaires.
Gagner en valeur, en compétence et en satisfaction
Dégager l’humain des tâches répétitives et à faible valeur ajoutée, c’est justement le mandat que s’est donné Kinova, de Boisbriand, sur la Rive-Nord de Montréal. «Les employés sont utilisés pour des tâches plus excitantes dans lesquelles ils acquièrent de nouvelles compétences, et ça aide à la rétention», remarque Alexandre Huynh-Bélanger, directeur principal de la gestion de produits. L’entreprise vient tout juste de lancer son robot collaboratif, Link 6, conçu pour travailler côte à côte avec les employés, et ce, en toute sécurité, contrairement aux robots industriels installés dans des secteurs sécurisés.
«C’est un robot polyvalent ; il peut aussi bien assembler, emballer, visser, sabler et inspecter. Il peut même alimenter de matériel brut une machine-outil qui fabrique des pièces», illustre Alexandre Huynh-Bélanger. Une particularité qui tient à son mode d’apprentissage, qui recourt aux humains. «Une personne va saisir le “poignet” du robot, un peu comme si elle enseignait à une autre personne où prendre les choses et où les déposer», explique Clément Gosselin, professeur au Département de génie mécanique et directeur du Centre de recherche en robotique, vision et intelligence machine de l’Université Laval, d’où sortent de nombreux experts en la matière.
«L’intérêt de ce type de technologie, ajoute le chercheur, c’est de permettre à personne qui n’a pas ou peu de connaissances en robotique de l’utiliser.» S’y ajoute une souplesse d’utilisation pratique pour les PME. «Ce sont des robots polyvalents, rappelle-t-il. Il suffit de les leur enseigner ce qu’on en a besoin au fur et à mesure, sans avoir à faire beaucoup de programmation.»
Garder les choses simples
Simplicité, efficacité et rentabilité font partie des mots-clés du discours des génies québécois de la robotique. La simplicité passe par exemple par une interface de commande qui ressemble à une tablette électronique. C’est sur elle que l’employé entre les instructions qui détermineront l’action du bras, de la «mains» et des capteurs du robot. «On veut que ce soit aussi facile d’utilisation qu’un téléphone», avance Samuel Bouchard, PDG et cofondateur de RobotiQ, de Lévis, dont l’entraînement des robots repose sur la programmation du logiciel d’exploitation plutôt que par guidage manuel, comme dans le cas du Link 6 de Kinova.
Jean-François Dupont, président et cofondateur d’AV&R, de Saint-Bruno-de-Montarville, partage le même souci de simplicité pour ses robots destinés au secteur manufacturier. La PME, active dans les secteurs très normés de l’aéronautique et des prothèses médicales, veut maintenant adapter sa technologie de finition et d’inspection à toutes les entreprises qui fabriquent des pièces de métal. «Pour une grande entreprise comme General Electric ou Pratt & Whitney, qu’un ingénieur opère la machine, ce n’est pas grave, relève-t-il. Elles veulent que la machine soit comme une Formule 1, qu’elle fonctionne au quart de tour, qu’elle sorte des pièces sans arrêt et que celles-ci soient parfaites.»
«Les petits manufacturiers ne disposent pas de ces moyens-là, nuance-t-il. Ils ont besoin de machines faciles à opérer et à qui on peut enseigner de nouvelles tâches de façon simple et rapide. On veut conserver le savoir-faire de la personne qui faisait le travail à la main, mais que le robot devienne ses bras, sans jamais avoir à le programmer.»
Une arrivée qui doit être préparée
L’intégration de robots en entreprise doit toutefois être réfléchie, prévient Élaine Mosconi, professeure au Département des systèmes d’information et méthodes quantitatives de gestion à l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke. Il faut savoir quelle technologie implanter et quelles tâches robotiser. Il faut ensuite, et peut-être surtout, impliquer les employés dans le processus de changement. «Pour les travailleurs à qui on annonce qu’une nouvelle technologie sera implantée, c’est beaucoup d’instabilité et de questionnements. Parfois, les organisations ne sont pas préparées à gérer la période d’adaptation des individus et concluent à l’échec avant d’être rendues à un niveau optimal de performance», observe Élaine Mosconi.