Me André Dufour, associé directeur régional du bureau de Montréal du cabinet Borden Ladner Gervais
PROFESSION : AVOCAT. Travailler de chez soi et ne pas passer par la pénible case métro ou auto n’est plus un tabou dans les cabinets d’avocats. Certains financent même l’équipement pour que le bureau à domicile soit aussi efficace que celui au cabinet. Mais les avocats casaniers doivent quand même respecter quelques règles.
«Il y a toujours eu du télétravail en droit, puisque plusieurs tâches dans notre profession s’y prêtent bien, comme la lecture et la rédaction. La différence est que ce mode de travail tend à se systématiser de nos jours», soutient Me André Dufour, associé directeur régional du bureau de Montréal du cabinet Borden Ladner Gervais (BLG).
La firme a justement adopté une politique formelle de télétravail en septembre dernier. Celle-ci vise à encadrer les avocats qui travaillent systématiquement de leur domicile un certain nombre de jours par semaine. Son objectif est de s’assurer que la gestion du télétravail est harmonisée et cohérente dans l’ensemble des cinq bureaux du cabinet au Canada. La politique sert aussi à établir certains principes qui devront être respectés par ceux qui se prévalent de cette option. Ainsi, il y a des impératifs qui exigent la présence au bureau, dont les séances de formation continue, les réunions et les rencontres avec les clients.
Le cabinet souhaite préserver la culture d’entreprise, tout en offrant plus de flexibilité. «Le plus important, c’est que les besoins et la satisfaction des clients passent en premier, indique Me Dufour. Il est aussi essentiel que les professionnels soient disponibles et accessibles à la fois pour les autres avocats du cabinet et pour leurs clients.» La politique de BLG prévoit également des subventions pour que les avocats équipent leur bureau à la maison.
Dans le cas des plus jeunes avocats qui font leurs premières armes au cabinet, la latitude du télétravail est par ailleurs quelque peu restreinte. La direction souhaite les voir plus souvent, afin qu’ils s’imprègnent de la culture d’entreprise et qu’ils apprennent leur métier auprès de leurs collègues plus expérimentés. «C’est une période de leur parcours où il se fait beaucoup de mentorat et d’échanges avec les collègues, alors c’est important que les jeunes avocats soient un peu plus présents au bureau», fait valoir Me Dufour.
Un avantage compétitif
Dans un contexte où les cabinets s’arrachent les meilleurs talents, l’offre de formules de télétravail constitue un outil de rétention des avocats, souligne de son côté Me Geneviève Ménard, directrice principale, Projets spéciaux chez Norton Rose Fulbright Canada. Cette flexibilité constituerait selon elle un «avantage compétitif significatif».
Il s’agit aussi d’un argument important pour conserver les femmes en pratique privée, elles qui ont tendance à quitter les cabinets pour pratiquer au public ou dans les contentieux des entreprises. D’ailleurs, les avocates et avocats qui sont parents sont souvent ceux pour qui le télétravail est un des aspects des plus importants. Il leur permet de rester à la maison avec un enfant malade ou encore d’éviter le trafic en allant ramasser les tout-petits au CPE.
Me Ménard s’est elle-même entretenue avec Les Affaires confortablement installée chez elle, d’où elle travaillait ce jour-là. «Il faut toutefois faire preuve de flexibilité de part et d’autre, précise-t-elle. On ne peut pas nécessairement décider à l’avance que l’on travaillera à la maison tous les lundis, par exemple. Certaines tâches ou obligations peuvent exiger que l’on déplace notre journée de télétravail.» Comme chez BLG, les dirigeants de Norton Rose Fulbright tiennent à s’assurer que les clients continuent de passer en premier, même pour les avocats avides de télétravail.
Le cabinet dispose depuis un peu plus d’un an d’une politique plus formelle pour encadrer le travail à distance. Elle prévoit notamment un montant de 1 000 $ pour équiper la maison du matériel nécessaire. Si le téléphone et l’ordinateur portable sont déjà fournis par l’entreprise, cette allocation supplémentaire peut servir, par exemple, à acquérir un écran, une imprimante, un routeur, un télécopieur, etc. «Nous fournissons aussi un soutien informatique en cas de pépin, afin que les avocats qui travaillent de chez eux reçoivent la même aide que s’ils étaient au bureau», ajoute Me Ménard.
L’objectif de la politique de Norton Rose Fulbright est d’encadrer le télétravail au sein d’ententes plus formelles entre le professionnel du droit et son gestionnaire. Ce dernier peut ainsi savoir à l’avance qui privilégie cette formule, ce qui lui permet d’adapter sa gestion en conséquence. Les clients sont aussi au courant que leur avocat travaille de la maison un certain nombre de jours par semaine.
«L’ancien tabou du travail à distance a beaucoup diminué chez nous depuis l’adoption d’une politique écrite, se réjouit Me Ménard. Toutefois, il reste important d’être régulièrement au bureau, de voir ses collègues en personne et de tisser des liens avec eux.» Les cabinets devront ainsi tendre vers un équilibre afin que les envies de cocooning de leurs avocats s’intègrent efficacement dans leur culture d’entreprise.