Lovasoa Ramboarisata, professeure à l'UQAM, croit que « l’avenir de SNC-Lavalin tient moins à toute l’énergie qu’elle dépense en lobbyisme que dans une réelle amélioration de sa gouvernance dans ses opérations au Canada et à l’étranger. » (Photo: Josue Isai Ramos Figueroa pour Unsplash)
PROFESSION : INGÉNIEUR EN 2019. Ce mercredi 18 décembre, SNC-Lavalin a plaidé coupable à une accusation de fraude. En revanche, les accusations de corruption ont été abandonnées. Si de telles accusations avaient été retenues, l’entreprise québécoise aurait été dans une situation très difficile comme l’expliquent des spécialistes que nous avons interviewés récemment.
Rappelons qu’un ancien cade de l’entreprise, Sami Bebawi, a lui été reconnu coupable de fraude et de corruption. Il a participé au versement de millions de dollars à des responsables libyens pour aider l’entreprise à obtenir des contrats au pays.
Des conséquences graves
« Qu’un gouvernement permette que soit puni un de ses champions nationaux, ça n’arrive à peu près jamais, a soutenu Denis Saint-Martin, professeur et chercheur en administration en en politiques publiques à l’Université de Montréal, interrogé par Les Affaires en octobre dernier. Aux États-Unis, la loi a bien plus souvent servi à attaquer des géants étrangers comme Alstom ou Petrobras. »
Au Canada, la Loi sur la corruption d’agents publics à l’étranger n’a mené qu’à sept poursuites devant les tribunaux en vingt ans, rapportait La Presse canadienne en mars 2019. Avec quelles conséquences pour ces entreprises ?
Le professeur Saint-Martin cite les cas de Griffiths Energy International et de Niko Resources, deux entreprises albertaines du secteur des ressources naturelles. Griffiths Energy a dû défrayer une amende de 10,35 millions de dollars à la suite d’un pot-de-vin versé à une entreprise détenue par la femme d’un diplomate tchadien. Griffiths, rebaptisée Caracal Energy en 2011, a été rachetée en 2014 par Glencore Xstrata.
Quant à Nico Resources, elle a payé en 2011 une amende de 9,5 millions de dollars pour avoir versé des pots-de-vin à un ministre du Bangladesh. En août 2017, la Cour suprême du Bangladesh a ordonné la saisie de ses actifs dans le pays et annulé tous ses contrats à la suite de problèmes dans des puits de gaz naturel. L’entreprise a été radiée de la Bourse TSX en février dernier.
Une porte de sortie
On le voit, les conséquences peuvent être graves pour une entreprise reconnue coupable de corruption. SNC-Lavalin aurait pu être interdite de soumission sur des contrats publics fédéraux pendant dix ans, comme le prévoit le Régime d’intégrité fédéral, adopté en 2015, qui vise à guider Ottawa dans ses choix de fournisseurs.
Martine Valois, professeure de droit à l’Université de Montréal, souligne toutefois qu’il est possible de faire une exception, dans l’intérêt public. « SNC-Lavalin pourrait tout de même obtenir des contrats du gouvernement fédéral, si ce dernier jugeait qu’il en va de l’intérêt public », expliquait-elle avant que le verdicte de mercredi le 18 décembre ne tombe.
Le gouvernement pourrait avancer la nécessité de protéger les milliers d’emplois de la firme au pays, ou encore de ne pas risquer de la perdre au profit d’une entreprise étrangère. Le concept d’intérêt public n’est pas défini précisément dans le Régime d’intégrité, ouvrant la porte à différentes justifications.
L’occasion de s’améliorer
Bien des perspectives ont été invoquées quant à l’avenir de la firme, comme une acquisition par une entreprise étrangère ou un redémarrage sous un nouveau nom. Elle a cessé de soumissionner sur des contrats à prix fixe, qui entraînent souvent des dépassements de coûts, et a décidé de regrouper ses activités des secteurs des ressources et de la construction dans une entité distincte. Elle pourrait même vendre sa division pétrolière et gazière.
Lovasoa Ramboarisata, professeure au département de stratégie, responsabilité sociale et environnement de l’Université du Québec à Montréal, croit que SNC-Lavalin devrait aller plus loin. « Elle a une occasion de s’améliorer, notamment en se soumettant à une certification externe comme la norme anticorruption ISO 37001, plutôt que de se fier à un nouveau programme de conformité interne », avance-t-elle.
La professeure rappelle que SNC-Lavalin demeure radiée par la Banque mondiale jusqu’en 2023 et qu’elle a aussi été pénalisée par la Banque africaine de développement. « L’avenir de SNC-Lavalin tient moins à toute l’énergie qu’elle dépense en lobbyisme que dans une réelle amélioration de sa gouvernance dans ses opérations au Canada et à l’étranger », conclut-elle.