Trente ans après Polytechnique, il y a encore peu d’ingénieures
Jean-François Venne|Édition de la mi‑octobre 2019(Photo : 123RF)
PROFESSION : INGÉNIEUR EN 2019. Trente ans après la tuerie de Polytechnique, les femmes continuent de se faire trop rares parmi les ingénieurs. Une tendance que le milieu s’efforce d’inverser.
Le 6 décembre 1989, Marc Lépine tue quatorze femmes âgées de 20 à 31 ans dans les locaux de l’École polytechnique de Montréal (aujourd’hui Polytechnique Montréal) – dont 12 étudiantes en génie – avant de retourner son arme contre lui-même. Cette tragédie a secoué tout le Québec, mais trouve forcément un écho encore plus personnel chez les femmes qui ont choisi de devenir ingénieures.
«Ça nous a tous marqués, et à Polytechnique, le 6 décembre reste une journée de deuil», confie Annie Ross, directrice associée à la formation et à la recherche et coprésidente du comité institutionnel sur l’équité, la diversité et l’inclusion de l’établissement.
Cette année, lors de l’illumination annuelle des faisceaux lumineux sur le Mont-Royal, Polytechnique recevra des représentantes de 14 facultés d’ingénierie canadiennes, qui allumeront chacune un faisceau. «Nos étudiants, dont la vaste majorité n’était pas née lors de cette tragédie, aiment qu’on leur en parle et veulent comprendre ce qui s’est produit et les répercussions que cet acte a eues», soutient Mme Ross.
En 1989, les femmes représentaient 17,4 % des étudiants de Polytechnique, contre 28 % à l’automne 2018. Un bond appréciable généré par plusieurs initiatives de l’institution et de ses étudiantes au cours des dernières décennies.
Le projet GéniElles, par exemple, vise à sensibiliser les filles âgées de 12 à 20 ans aux sciences et au génie, notamment par des projets pédagogiques à réaliser dans les classes des écoles primaires et secondaires. Le comité Poly- (qui se prononce «fi», pour femmes ingénieures), offre des ateliers scientifiques gratuits à des classes d’écoles primaires et secondaires des quartiers défavorisés.
«Il y a un moment charnière, vers l’âge de 13 ans, durant lequel les filles se questionnent sur leur intérêt envers les sciences et sur leurs habiletés pour y réussir, donc c’est important d’intervenir dans cette période», souligne Mme Ross. Elle-même a opté pour le génie, car cette profession répondait à son goût pour la science et à son envie de créer des solutions concrètes pour améliorer le bien-être des gens.
D’autres initiatives visent la persévérance des étudiantes en génie, l’encadrement en début de carrière et le développement du leadership.
Le nombre d’inscriptions des femmes au baccalauréat est plus élevé à Polytechnique (28,9 % en 2018) que la moyenne canadienne (21,8 %) ou québécoise (19,8 %). Une preuve que les efforts ont porté fruit, selon Mme Ross.
30 en 30
Par l’initiative 30 en 30, Ingénieurs Canada s’est fixé comme objectif que 30 % des nouveaux ingénieurs
soient des femmes en 2030. Cette cible représente pour l’organisme le «seuil à atteindre pour opérer un changement durable» dans la profession. Au 31 décembre 2017, la moyenne nationale d’ingénieures nouvellement admises était de 18 %.
«Cet objectif aidera notamment à combler le manque d’effectifs dans la profession, mais surtout à augmenter la diversité dans la pratique», soutient Sandra Gwozdz, ingénieure chez Airbus Canada et l’une des «championnes» du réseau national 30 en 30. Elle rappelle qu’il a été maintes fois démontré que la présence de femmes dans les milieux de travail augmente la productivité.
Créé pour appuyer cette initiative, le réseau 30 en 30 comprend notamment quatre comités qui couvrent les écoles primaires et secondaires, les institutions d’enseignement postsecondaire, la période du début de carrière et le développement professionnel. «Il faut agir à plusieurs échelons pour atteindre notre objectif d’augmenter et de solidifier la place des femmes dans la profession», croit Mme Gwozdz.
Démystifier la profession
Au Québec, environ 15 % des plus de 65 000 membres de l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ) sont des femmes. Elles représentent environ 20 % des nouveaux inscrits. Pourquoi pas plus ? L’OIQ a réalisé un diagnostic de cette situation afin de savoir comment agir efficacement pour attirer plus de femmes dans son domaine.
«Ce qui ressort clairement, c’est qu’il manque de modèles féminins pour intéresser les jeunes femmes à ce métier, explique la présidente de l’Ordre, Kathy Baig. On constate aussi que les femmes sont attirées par des métiers axés sur la relation d’aide ou l’impact social, mais elles ne voient pas ça dans la profession d’ingénieur, alors que c’est pourtant très présent.»
L’OIQ a choisi de lancer un programme d’ambassadrices pour lequel plus de 320 ingénieures se sont déjà portées volontaires. Celles-ci reçoivent une formation en ligne et se voient confier des projets à réaliser dans des classes au primaire et au secondaire. Les ambassadrices se déploieront dans les écoles dès la fin octobre afin d’initier les jeunes filles à cette profession et de mousser leur intérêt pour l’ingénierie.