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IA: une technologie mature clouée à la ligne de départ

Philippe Jean Poirier|Édition d'avril 2021

IA: une technologie mature clouée à la ligne de départ

Hugues Foltz, vice-président exécutif de Vooban, une firme spécialisée dans les projets d’AI en entreprise, s’explique mal la réticence du secteur manufacturier à adopter des solutions d’«IA appliquées». (Photo: courtoisie)

TRANSFORMATION NUMÉRIQUE. L’intelligence artificielle (IA) est une technologie qui devrait révolutionner les entreprises, selon de nombreux experts. Pourtant, elle n’est pas populaire auprès des PME québécoises. Seulement 5 % d’entre elles affirment avoir profité de la pandémie pour accélérer leur projet d’intégration de l’IA à la prise de décision, selon une enquête de l’organisme QuébecInnove publiée en novembre dernier.

À l’échelle canadienne, plusieurs entreprises ont même décidé de donner un coup frein à leur projet en la matière. Les investissements en IA «reculent pour la première fois en quatre ans, passant de 36 % en 2019 à 29 % cette année», peut-on lire dans le portrait 2021 des TI dans les grandes et moyennes entreprises canadiennes, réalisé par Léger pour Novipro.

Dans cette étude, on constate que la perception des dirigeants envers leurs infrastructures TI a été revue à la baisse. En 2019, 41 % des dirigeants disaient compter sur des infrastructures «avant-gardistes», une proportion qui a chuté à 29 % en 2020.

«La pandémie a “sonné le réveil” de plusieurs entreprises, qui ont constaté leurs lacunes technologiques, explique Éric Cothenet, directeur des solutions technologiques à Novipro. Elles ont dû se retrousser les manches et faire face au télétravail généralisé.»

S’est ensuivi un changement de priorités. Davantage d’entreprises ont maintenant l’intention d’investir dans des solutions d’infonuagique et de commerce électronique, au détriment de l’IA.

 

Passer de la théorie à la pratique

Hugues Foltz, vice-président exécutif de Vooban, une firme spécialisée dans les projets d’AI en entreprise, s’explique mal la réticence du secteur manufacturier à adopter des solutions d’«IA appliquées». «Surtout pour l’inspection visuelle, mentionne-t-il. C’est une solution d’AI qui est beaucoup plus efficace que l’humain et qui est maintenant très abordable. Une caméra d’application industrielle qui coûtait de 15 000 $à 20 000 $il y a 10 ans se chiffre aujourd’hui de 1000 $à 1500 $.»Une telle caméra peut surveiller la production de planches, de boulons et de pièces diverses, mais aussi de fruits et de légumes.

Le contrôle de la qualité est une application parmi d’autres de l’AI. Une étude effectuée l’an dernier par IBM montre que les projets d’AI les plus fréquents dans les entreprises qui touchent à la sécurité des données (36 %), l’automatisation des processus (31 %), les assistants virtuels (24 %) et l’Internet des objets (25 %).

Faut-il s’inquiéter de voir les robots remplacer les humains sur les chaînes de montage ? Hugues Foltz ne le croit pas. «On est actuellement en pénurie de main-d’oeuvre. Nous, ce qu’on veut, c’est convertir les employés en “médecin d’usine”, illustre-t-il. Au lieu de leur faire faire des tâches répétitives, on les place dans un rôle décisionnel.»Généralement, la formation des travailleurs ne demande pas un retour sur les bancs d’école. «On est dans une dynamique de robots collaboratifs; certains d’entre eux peuvent détecter l’humain à proximité.»

L’employé est alors appelé à utiliser son cerveau, plutôt que ses mains. Il fait appel à sa créativité, à son empathie et à ses compétences de gestion afin d’améliorer les processus et les rendre plus performants. «C’est en impliquant l’employé dès le début du projet que l’on obtiendra son adhésion»à la nouvelle technologie, rappelle Hugues Foltz.

 

Le jeu des prédictions

SBI est un fabricant de poêles et de foyers basé à Saint-Augustin-de-Desmaures qui vend ses produits à l’international. Comme il s’agit de produits saisonniers distribués dans plusieurs marchés, la PME doit composer avec un volume de commandes qui fluctue fortement d’un mois à l’autre. L’usine, elle, doit toutefois rouler de manière constante. Autrement dit, il serait plus complexe de trouver des gens prêts à y travailler. 

Chaque année, l’équipe des ventes doit donc se prêter au jeu des prédictions. L’enjeu est de taille: si elle sous-estime la demande d’un article, elle perd des ventes; si elle la surestime, elle encombre son entrepôt et freine le lancement d’une prochaine génération de produits.

Le prix de l’énergie, la réglementation locale, le revenu des ménages, la météo et même un printemps tardif sont des facteurs à considérer pour estimer la demande. «Au volume de ventes où nous étions rendus, c’était devenu difficile d’y voir clair, raconte Jean-François Cantin, vice-président de SBI. Ce n’était plus possible de prendre connaissance de ce qui se trouvait dans la tête de chaque représentant pour faire nos prédictions.»

En 2017, SBI a plutôt décidé de se doter d’un modèle prédictif, capable de soupeser chaque facteur d’achat, d’en considérer de nouveaux et de s’améliorer au fil du temps, afin de suggérer des volumes de production toujours plus près de la réalité. Depuis, en trois itérations, l’algorithme utilisé a augmenté sa précision de 60% à 80%. Et son entraînement continue!