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RECRUTEMENT. Du jour au lendemain, la pandémie et le confinement ont transformé le monde du recrutement: plusieurs entreprises sont passées de pénurie de main-d’oeuvre à licenciement massif, les méthodes de recrutement virtuelles se sont imposées et le télétravail a amené les employeurs à redéfinir leurs besoins et attentes.
La COVID-19 a eu un effet contrasté sur le marché du travail. D’un côté, des entreprises ont dû mettre à pied massivement leurs travailleurs. De l’autre, des sociétés ont vu la croissance de leurs activités devenir presque exponentielle. Les répercussions de la pandémie laissent planer une reconversion du recrutement à l’ombre de la sempiternelle pénurie de main-d’oeuvre.
Certes, le confinement a freiné les activités de recrutement chez plusieurs employeurs, explique Michael O’Leary, vice-président régional du cabinet de recrutement Robert Half, à Montréal, interrogé avant le déclenchement de la deuxième vague. «Nos activités ont roulé au ralenti, mais nous voyons une reprise graduelle depuis juin. La demande est beaucoup plus forte que ce à quoi je m’attendais, notamment à Montréal.»
Certaines entreprises en ont aussi profité pour recruter des travailleurs d’expérience qui ne se seraient jamais retrouvés sans emploi autrement. D’autres ont décidé d’aller chercher des ressources pour se repositionner ou encore de travailler à améliorer leurs angles morts, note Michael O’Leary. «Dans un marché traditionnel, il y aurait plus de concurrence pour acquérir ces talents.»
La pénurie demeure
Malgré les mises à pied, la crise n’a pas effacé le manque de main-d’oeuvre prépandémique, constate pour sa part Anne Bourhis, professeure au Département de gestion des ressources humaines à HEC Montréal. «La pénurie a toujours été sectorielle et, encore aujourd’hui, certains postes sont très difficiles à pourvoir, comme ceux d’infirmières ou de préposés aux bénéficiaires.»
Elle estime que, trop souvent, on regarde la situation de façon quantitative, en calculant le nombre de travailleurs au chômage. «Pourtant, c’est plutôt une question qualitative, car on ne peut pas offrir un poste d’informaticien à une personne ayant perdu son emploi dans un commerce de détail», rappelle Anne Bourhis.
La demande s’est ainsi maintenue dans des domaines comme la construction, les industries manufacturières, la comptabilité et l’informatique, confirme Dominic Lévesque, conseiller en relations industrielles agréé (CRIA) et président du groupe Randstad Canada. «On a aussi remarqué des pénuries de main-d’oeuvre dans des secteurs peu spécialisés, en entrepôt par exemple. Avec la reprise, la demande pour ce genre de poste a été plus élevée que prévu.»
Pour aider les employeurs, le gouvernement du Québec a d’ailleurs lancé plusieurs initiatives dans les derniers mois, comme la bonification des salaires pour les travailleurs agricoles ou le portail de placement Jetravaille! Des mesures permettant aux chômeurs de se requalifier rapidement étaient également à l’étude au moment d’écrire ces lignes.
Les différents programmes de soutien, comme la Prestation canadienne d’urgence (PCU) fédérale, ont aussi influé sur la disponibilité des travailleurs, mentionne Dominic Lévesque. «Cette mesure avait son utilité, mais ça a donné du fil à retordre à certains employeurs ayant besoin de main-d’oeuvre moins spécialisée.» Reste à voir comment le marché se comportera maintenant que ces programmes ont été revus.
À long terme
La crise a précipité plusieurs transformations amorcées avant la pandémie, dont le télétravail, ajoute Dominic Lévesque. «Même les plus réticents ont réalisé qu’il était possible de demeurer productif malgré la distance.»
S’il est difficile de savoir quelle forme prendra le retour dans les bureaux, la situation ne risque pas de revenir complètement comme elle était avant la pandémie, croit le CRIA. « Tout le monde travaille de la maison et ça fonctionne bien. Est-ce qu’on va ramener les gens au bureau à temps plein? Je n’y crois pas.»
Le contexte a aussi accéléré la transformation numérique des ressources humaines dans les sociétés, constate Julie Hubert, présidente et fondatrice de Workland, entreprise spécialisée dans les technologies, solutions et services de recrutement.
«Les entreprises qui n’ont pas emboîté le pas sur la numérisation de leurs processus d’acquisition des talents risquent de s’en mordre les doigts. Ce n’est pas qu’une tendance à court terme; c’est un changement inévitable», renchérit Dominic Lévesque.
D’autant que, depuis le début de la crise, le recrutement a parfois pris de la vitesse. «Pour certains secteurs, on peut perdre un candidat en moins d’une semaine, explique Julie Hubert. C’est un peu comme une course virtuelle qu’on ne peut gagner si on est mal outillé, parce qu’on se fait déjouer par ceux qui sont plus rapides.» Selon elle, les entreprises doivent non seulement réfléchir aux différents outils technologiques à adopter, mais aussi au système de gestion des candidatures qui permettra de connecter ces solutions ensemble et de gagner en efficacité.
Cette numérisation pourrait même transformer le rôle des professionnels des ressources humaines (RH), pense l’entrepreneure en recrutement. « Plutôt que de gérer des dossiers, des rendez-vous, leur travail sera beaucoup plus stratégique.» Libérés des tâches cléricales, ils pourront se concentrer sur des dossiers comme le marketing RH ou la découverte de bassins de talents.