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Repenser la performance en entreprise, pas si facile

Samir Hamladji|Édition d'avril 2023

Repenser la performance en entreprise, pas si facile

Selon Julie Tremblay-Potvin, il faut valoriser d’autres indicateurs que ceux de performance classique, comme l’épanouissement, la créativité et ceux en lien avec la santé. (Photo: 123RF)

RECRUTEMENT. Les gestionnaires sont en première ligne pour impulser une culture de la performance plus saine. Cependant, préserver leur équilibre mental et celui de leurs équipes, soumis à rude épreuve, est une tâche loin d’être aisée. 

Montrer l’exemple et tracer la voie à suivre vers le succès. Tel fut, pendant longtemps, le quotidien des gestionnaires. Au détriment, parfois, de leur propre bien-être mental. Au sortir d’une crise sanitaire qui a éprouvé les organismes des uns et des autres, l’heure est cependant à la prise de conscience. Et aux nouvelles priorités. L’équilibre vie personnelle/vie professionnelle n’est désormais plus l’apanage des collaborateurs, mais également celui des décideurs. « Ils se soucient de la santé de leurs équipes, mais vont sacrifier leur propre équilibre », relate Julie Tremblay-Potvin, « passionnée par l’humain » et cofondatrice de « l’école de Saison », qui œuvre à la prise en considération des mutations du travail. « Ces leaders pensent que ce sacrifice est constitutif de leur personnalité, mais, le plus souvent, c’est la culture d’entreprise qui les a forgés ainsi », poursuit-elle. 

Selon Julie Tremblay-Potvin, il faut valoriser d’autres indicateurs que ceux de performance classique, comme l’épanouissement, la créativité et ceux en lien avec la santé. Ce nouveau paradigme permet à l’organisation de se régénérer et de se revigorer — de la tête à la base — après deux années particulièrement délicates.   


« Briser le cycle infernal »

« Il ne s’agit pas d’avoir une charge de travail moindre, mais d’aboutir à un équilibre entre travail et moment pour se ressourcer. L’employeur et l’employé ne doivent pas tout donner puis partir en vacances et ainsi de suite. Il faut briser ce cycle infernal », abonde Geneviève Latour, vice-présidente aux affaires publiques de Propulsion Québec, qui a eu recours aux services de « l’école de Saison » après le départ d’une autre vice-présidente. Ce changement organisationnel a enjoint la direction à ressouder les liens en interne et à apporter « un vent de fraîcheur » à son mode opératoire. 

Au menu : rencontres, discussions à bâtons rompus, ateliers sur l’importance du bien-être au travail. La demi-journée a été particulièrement riche en enseignements pour la responsable. « Ces échanges ont nourri l’esprit et la cohésion d’équipe. Et cela a également eu le mérite d’insuffler une énergie qui allait dans les deux sens : du côté des gestionnaires et du côté des employés. Il était particulièrement important pour nous de pleinement les impliquer dans le processus », se remémore la responsable. 


« Prendre le temps »

Germain Harvey, directeur de Flexia Conseil, cabinet qui s’évertue depuis une dizaine d’années à accompagner les dirigeants dans le développement organisationnel de leur entreprise, préconise le temps long et la pédagogie pour déterminer les points à améliorer en interne. « Nous allons privilégier une première phase d’analyse afin de nous approprier l’organisation. Cela passe par un diagnostic organisationnel qui dure de huit à dix semaines. Ensuite, nous mettons en place un projet sur-mesure et collaboratif impliquant pleinement les employés. Il faut compter 18 à 24 mois pour avoir de bons résultats ».   

Louis Côté, vice-président des opérations du groupe Goulet, qui abrite en son sein les franchisés Sports Experts, peut en attester après que le coaching intensif des équipes de Flexia Conseil l’a sensibilisé à un leadership plus horizontal. « Auparavant, lorsque quelqu’un dirigeait une entreprise, il n’y avait pas de remise en question. Le leader impulsait le cap. Nous devons désormais être plus transparents, avoir une vision et être capables de la partager. Ces réflexes doivent devenir naturels ». Dans le cas contraire, les collaborateurs peuvent rapidement être tentés d’aller exercer leurs talents ailleurs. « Il ne faut pas oublier qu’un salarié démissionnaire quitte avant tout son patron, plus que l’organisation », fait valoir Germain Harvey.   

 

Depuis la création de son entreprise en 2016, Sébastien Daupleix met un point d’honneur à œuvrer sans relâche à l’épanouissement de ses salariés. Le dirigeant et fondateur de la PME montréalaise Uzinakod, qui développe des logiciels, veut briser les codes. Pour cela, il multiplie les initiatives pour le moins étonnantes. Entrevue. 
En 2016, après une carrière d’une quinzaine d’années à titre de consultant informatique indépendant en développement de logiciels, le passionné d’informatique depuis les bancs de l’école a posé les bases d’un projet « spontanément humain », selon ses propres termes. Nom de code : Uzinakod. 
L’entreprise spécialisée dans le développement de logiciels s’est fixée, dès les prémices, trois objectifs : expertise technique, rentabilité et, tout aussi important pour Sébastien Daupleix, l’approche humaine. « Ce dernier aspect nous a permis de conserver et de développer une richesse d’entreprise et une agilité dès le début de cette aventure. Si bien que cette “souplesse” a été un véritable atout au moment de faire face à la crise sanitaire et à la guerre des talents », détaille-t-il. 
Depuis 1996, année où il s’est établi au Québec après l’obtention de son diplôme à Lyon, en France, le dirigeant distille de précieux conseils à divers clients et peaufine son approche humaine du travail. « En tant que développeur logiciel, je voue une véritable passion à mon métier et l’idée était de mettre en place les conditions pour que d’autres personnes puissent s’épanouir à travers ce métier », explique le dirigeant. 
Télétravail illimité et chalet 
Et de talents, Uzinakod n’en semble pas dépourvu. De deux employés en janvier 2018, la compagnie est passée, en mars 2023, à un bataillon de 80 salariés. Le dirigeant a toujours insisté pour que l’approche humaine qu’il préconise s’applique à chacun de ses collaborateurs. « Lorsque nous étions seulement quatre personnes au sein de la compagnie, je me suis battu bec et ongles pour que nous puissions nous doter d’un plan d’assurance collective. Au Québec, le minimum requis est d’avoir cinq employés, mais j’ai beaucoup insisté pour fournir ce plan à mes employés à ce moment-là ». 
Selon lui, durant les premiers mois de son existence, certains ne donnaient pas cher de la viabilité d’un projet entrepreneurial accordant trop d’importance à « l’humain ». « Beaucoup d’entreprises mettent en place des avantages pour leurs employés en réaction à la pénurie ou aux crises successives. Nous, dès 2016, nous avons mis en place des choses qui paraissent normales aujourd’hui, mais à l’époque, les gens nous disaient qu’on en faisait beaucoup trop et que nous allions perdre en rentabilité ». 
Pour « remonter le moral des troupes » échaudées par la crise sanitaire, Sébastien Daupleix va même faire l’acquisition d’un chalet dans la localité de Saint-Donat, à 1 h 30 de route de Montréal, où peuvent se rendre les collaborateurs, leurs familles ainsi que leurs proches. « Au-delà de mettre cela à leur disposition, je pense que cette initiative témoigne profondément de que nous sommes en tant que compagnie et est parfaitement représentative de nos valeurs ». Des valeurs qui s’étendent jusqu’à proposer 17 semaines de télétravail depuis l’étranger — et « zéro jour » de présence obligatoire sur site — sans oublier cinq semaines de congés annuels contre trois en moyenne dans les autres organisations. 
Prime au collectif 
Particulièrement attaché à la cohésion de ses équipes — Uzinakod n’offre exclusivement que des emplois à temps plein — le dirigeant propose également diverses salves d’événements ponctuels parmi lesquels les « mercredis billetterie » qui permettent, tous les deuxièmes mercredis du mois, à une dizaine de collaborateurs n’opérant pas dans les mêmes services d’assister ensemble à un événement culturel, comme un concert ou encore un match des Canadiens de Montréal. « Cela renforce la cohésion d’équipe et permet à des gens qui n’ont pas le loisir d’échanger pendant le travail de partager des moments » appuie le dirigeant qui devrait continuer dans les mois à venir à consolider « l’approche humaine » de son entreprise.