(Photo: 123RF)
REER 2020. François est propriétaire d’un cabinet dont les services professionnels sont offerts à l’intérieur d’une société par actions, ce qu’on appelle communément une «corpo». À 63 ans, il songe maintenant à accrocher son tablier.
L’ingénieur est soucieux, car ni lui ni sa conjointe ne profiteront d’un régime de retraite d’employeur. Son épouse Dominique, 61 ans, prend part aux activités de l’entreprise depuis le début. Elle en est toujours salariée.
Le couple a un enfant qui, à 30 ans, vole de ses propres ailes. Déjà, les conjoints ont diminué la cadence, ils ne travaillent plus que trois jours par semaine. Ils se demandent s’ils pourraient cesser immédiatement de travailler pour amorcer leur retraite. Ils veulent aussi savoir quel serait l’impact sur leurs finances s’ils prolongeaient leur vie active au rythme actuel jusqu’aux 65 ans de François.
Le cas de François et de Dominique a ceci d’intéressant : il permet d’aborder certaines particularités des professionnels «incorporés» ; leur situation est souvent plus complexe que celle des salariés «ordinaires».
Nous avons confié l’analyse à Marc-Antoine Perron, CPA, CA, du cabinet Brassard Goulet Yargeau services financiers intégrés. D’entrée de jeu, le spécialiste note le train de vie raisonnable du couple, ce qui devrait les aider à atteindre sans difficulté leurs objectifs de retraite. Cela dit, plusieurs erreurs ont été commises au cours des années qui, bien qu’elles ne compromettent pas son rythme de vie pour les prochaines années, font en sorte que le couple aurait facilement pu accroître sa valeur successorale.
Voyons voir.
Les deux conjoints se déclarent actuellement un salaire en fonction de leur contribution aux activités de l’entreprise (75 000 $ et 56 000 $). François complète sa rémunération annuelle en se versant un dividende. Il reçoit d’autres revenus pour son implication dans des CA. Dominique a commencé à toucher aux prestations du RRQ depuis un an.
Le couple habite une maison qui est la propriété de la société de François. «Ce qui est étonnant», note le spécialiste. Les activités professionnelles de l’ingénieur accaparent 40 % de l’immeuble, alors que 60 % est occupé par son ménage.
Le couple se transporte avec une luxueuse voiture achetée récemment par l’entreprise de François. Plus de la moitié des 12 000 km ajoutés au compteur chaque année est imputable aux activités professionnelles.
Du côté de l’épargne, les REER combinés du couple s’élèvent à 820 000 $ auxquels s’ajoutent 63 700 $ en parts dans le Fonds de solidarité de la FTQ et 45 000 $ dans le Capital régional et coopératif de Desjardins (CRCD). Ensemble, François et Dominique détiennent 52 000 $ dans leur CELI.
À l’intérieur de l’entreprise de François, il y a pour 269 000 $ de placements.
Quant à l’entreprise, elle pourra difficilement être vendue, soulève Marc-Antoine Perron. La société se trouve en région, où la relève est rare. «Ses activités ne génèrent pas de repeat business [contrats récurrents]», ajoute le conseiller, qui n’a pas tenu compte d’une éventuelle vente dans sa planification.
Pour compléter le portrait, notons que le couple a contracté plusieurs assurances. «Nous pourrions vivre avec 70 000 $ (net) par année, ce qui inclut le budget de voyage», estime François. Ce sera la base du calcul, bien que les professionnels incorporés ont souvent tendance à sous-estimer le coût de leur train de vie en raison des dépenses assumées par leur société, comme la voiture, relève Marc-Antoine Perron.
À ne pas répéter
Le spécialiste remarque que le couple a commis quelques erreurs qui leur ont coûté assez cher avec le temps. Par exemple, François n’aurait pas dû se verser un dividende pour combler ses besoins, il aurait été plus judicieux de se verser un boni salarial. «D’un point de vue fiscal, le dividende est désavantageux quand la société qui le verse ne profite pas de la déduction pour petite entreprise (DPE)», souligne l’expert. La DPE est une réduction d’impôt (de 11,7 % à 8 %) sur la première tranche de 500 000 $ de revenus net accordée par Québec aux entreprises dont les employés cumulent 5 500 heures de travail ou plus, ce qui n’est pas le cas du cabinet de François.
Aussi, note le conseiller financier, il aurait été facile pour François et Dominique de profiter des possibilités de fractionnement du revenu que leur offre leur situation; cela aurait pu être réalisé en modulant leur salaire de manière à ce que les deux conjoints se retrouvent sur le même échelon de la table d’impôt.
«Le fait que la résidence principale soit incluse dans la société implique un avantage imposable et la perte de l’exonération sur le gain en capital lors de la vente», remarque le conseiller. Il aurait été plus efficace que François détienne personnellement l’immeuble et en loue une partie à sa société.
Le même genre d’erreur a été commis avec la voiture. En fait, explique Marc-Antoine Perron, plutôt que de l’acheter, il aurait mieux valu que la société loue le véhicule. Dans le cas d’une voiture louée, le mode de calcul de l’avantage imposable imputable à François est moins pénalisant.
Enfin, il était inutile pour Dominique de commencer à toucher le RRQ l’année dernière, une décision irréversible. Elle aurait pu attendre jusqu’à 67 ou 68 ans, ou même jusqu’à 70 ans, ce qui lui aurait valu une rente bonifiée pour la vie, une bonne protection contre le risque de longévité.
Panoplie d’assurance
Avec les années, le couple a contracté une panoplie d’assurances, dont une assurance frais de bureau, une assurance invalidité, deux assurances vie temporaires et une police permanente à capital-décès décroissant qu’il faudrait abandonner immédiatement, selon l’expert. Cette dernière est désavantageuse tandis que les autres ne sont plus nécessaires, les actifs du couple étant plus que suffisants pour faire face à une perte de revenus résultant d’un événement malheureux.
Trois polices d’assurance permanente s’ajoutent au lot. L’expert recommande de les conserver. Il va plus loin. Selon le scénario de retraite retenu, François pourrait contracter une nouvelle assurance vie permanente souscrite à l’intérieur de sa société pour augmenter sa valeur successorale. Elle occuperait une partie de la portion plus prudente du portefeuille de l’ingénieur, dont le profil d’investisseur est «équilibré».
Avec un rythme de vie de 70 000 $ par année, le couple a suffisamment d’argent pour cesser maintenant de travailler et tenir jusqu’aux 120 ans de François ! «Cela tient essentiellement au train de vie raisonnable du ménage», souligne Marc-Antoine Carron. Son scénario s’appuie sur une hypothèse d’inflation de 2 % et des rendements sur les placements de 4 %, après frais.
Si François devait profiter d’une exceptionnelle longévité, la valeur de ses actifs s’élèverait à 1,35 M$ à son centième anniversaire. Une retraite progressive ne ferait qu’augmenter la valeur successorale du couple (2,1 M$ aux 100 ans de François).
Cela dit, dans l’hypothèse où les conjoints cessaient de travailler demain matin, ils pourraient se permettre un rythme de vie de 80 500 $ par année pour épuiser leur capital aux 100 ans de François. S’il prenait une retraite progressive, le couple pourrait se permettre des dépenses annuelles de 86 300 $.
Il suffit de un ou de deux voyages de plus par année ou des factures de soins de santé inattendues pour réduire considérablement leur valeur successorale.
EXPERT INVITÉ:
Marc-Antoine Perron, CPA, CA, du cabinet Brassard Goulet Yargeau services financiers intégrés