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Le télétravail influence la rémunération globale

Kévin Deniau|Publié le 06 avril 2022

Le télétravail influence la rémunération globale

À Gsoft, les membres du personnel n'ont plus aucune obligation de se rendre au bureau. (Photo: courtoisie)

RÉMUNÉRATION GLOBALE. Fini le linge mou! Les télétravailleurs – un tiers des employés au pays, selon Statistique Canada – sont priés de reprendre progressivement le chemin du bureau. Un soulagement pour certains, un regret pour une majorité, selon la plupart des coups de sonde sur la question. Que ces derniers se rassurent: le télétravail est toutefois là pour de bon.

« Le mot clé du moment, c’est hybride », confirme Stéphane Paré, directeur principal talent et rémunération au sein du cabinet Willis Towers Watson. « Le télétravail était un gros plus en termes de marque employeur il y a deux ans, c’est aujourd’hui la base, poursuit Marc Chartrand, CRHA, associé et conseiller principal à PCI rémunération-conseil. Reste maintenant à définir l’équilibre avec le temps de présence au bureau. » Selon lui, la réponse ne s’imposera que d’ici deux autres années. 

Au Mouvement Desjardins, par exemple, le rythme adopté pour l’instant est de quatre jours à la maison et un jour au bureau. « On ne ferme la porte à aucune autre formule et l’on s’ajustera en fonction des besoins des équipes », indique Marc-André Malboeuf, son vice-président au développement de solutions en ressources humaines (RH). 

L’horaire est loin d’être le seul questionnement lié à l’impact du télétravail sur la rémunération globale. Prenons l’aspect financier. « La question de la valeur monétaire du télétravail est éminemment complexe et sujette à des préoccupations d’équité », affirme Anna Potvin, CRHA, conseillère principale et cheffe de la pratique rémunération chez Normandin Beaudry. 

Illustration concrète: un employeur montréalais pourrait envisager de moins payer un salarié qui télétravaille loin de la métropole, arguant que le coût de la vie y est moins élevé. Alors que ce dernier pourrait, au contraire, demander à être mieux rémunéré, compte tenu de sa plus grande productivité à distance. En parallèle, que dire à l’employé qui se rend au bureau de l’entreprise et qui estime mériter une compensation pour cet effort ?

C’est pourquoi le télétravail doit tout simplement être décorrélé de la rémunération directe, selon Anna Potvin. Un avis partagé par le studio de jeux vidéo Ubisoft, qui rassemble 5 000 salariés au Québec, répartis entre Montréal, Québec, Sherbrooke et Saguenay. « Je ne paie pas à la ligne de code, insiste Louis-François Poiré, directeur de la rémunération globale. Si tu es plus productif dans tel ou tel endroit, tant mieux pour toi, tu pourras terminer plus tôt ou obtenir une promotion plus rapidement. » 

 

Les bureaux doivent se réinventer

Autre interrogation: comment considérer les éléments de rémunération globale qui sont liés à une présence physique au bureau? À Gsoft, entreprise technologique où il n’y a plus aucune obligation de se rendre au bureau, on a tout bonnement transformé ces avantages. « Nous offrions trois dîners par semaine au bureau. Cela a été remplacé par un budget mensuel de 200 $ par salarié pour des services de repas prêts à manger ou à cuisiner livrés à la maison », raconte Frédérick Poulin, le directeur rémunération globale de la firme montréalaise. Gsoft rembourse également les frais de connexion Internet des télétravailleurs. Desjardins, pour sa part, a opté pour une enveloppe de 1 000 $ par salarié destinée à s’équiper en matériel informatique ou ergonomique chez soi.

La question s’avère plus délicate encore pour les installations physiques. Si Ubisoft a dû se résoudre à rouvrir sa salle de sports pendant la pandémie à la demande de ses employés, elle en a aussi profité pour proposer des cours de sport et de bien-être sous forme de capsules vidéo. Une offre désormais pérenne, selon Louis-François Poiré : « Il faut continuer à investir de manière équivalente dans notre offre physique et numérique. »

Quid des bureaux en tant que tels ? Faut-il profiter de la présence amoindrie des employés pour en réduire les coûts ou, au contraire, y investir d’autant plus pour leur redonner le goût d’y retourner ? Le choix est clair à Ubisoft, estime Louis-François Poiré. « On doit faire évoluer nos bureaux pour s’adapter aux nouveaux modes de travail. » 

Traduction: en finir avec les vastes et bruyantes aires ouvertes et profiter des pieds carrés ainsi libérés pour créer plus d’espaces de travail conviviaux et informels. « Même si notre bureau fait partie intégrante de notre expérience-employé, on a dû changer sa vocation, renchérit Frédérick Poulin, de Gsoft. À savoir tendre plus vers un lieu de vie où l’on éprouve du plaisir à se retrouver et collaborer » que vers un endroit où l’on passe des journées seul devant son ordinateur.

Il est moins question ici de modifications esthétiques que d’aménagements destinés à favoriser les interactions entre collègues, ce qui leur a le plus manqué pendant la pandémie. « Il est important de préserver son tissu social, c’est le fondement d’une culture d’entreprise », rappelle Stéphane Paré. 

 

Et si le sentiment d’appartenance, l’attachement à la mission ou l’adhésion aux valeurs d’une entreprise faisaient partie de la rémunération globale ? À observer les nouvelles tendances en la matière, la question n’est pas si saugrenue. 
Maisons usinées Côté, une PME manufacturière de la région de Lanaudière, croit que oui, et cela lui a permis de remporter le Laurier d’or dans la catégorie « Pratiques RH gagnantes » de la part de la Chambre de commerce et d’industrie de la MRC de Montcalm en novembre dernier.
Parmi les initiatives récompensées, la création d’une « boutique Côté » comprenant différents items et outils aux couleurs de l’entreprise. Tous les ans, les salariés se voient doter de 100 points qu’ils peuvent utiliser pour y acheter les objets de leur choix. En cas de bon coup durant l’année, ils peuvent aussi obtenir des points supplémentaires. « On vient d’y ajouter des manteaux, à la demande des employés, qui aiment porter des vêtements à l’image de la compagnie », assure Kamie Richer, responsable de la culture au sein de la PME.
Le sentiment de fierté des salariés se manifeste également lors des « Campus Côté », des défis sportifs ou solidaires annuels lancés pour faire « vivre » les valeurs de l’entreprise. Il peut s’agir d’une course à pied de 24 heures en équipe ou encore d’une collecte de fonds pour offrir des sacs à dos remplis de fournitures scolaires à 120 enfants démunis. « Cette implication dans notre région donne aux employés la sensation de pouvoir faire une différence, renforce l’esprit d’équipe et allume des étoiles dans les yeux des candidats », confie Kamie Richer.
Aller au-delà des valeurs de façade
« Les valeurs d’une organisation doivent en effet se refléter dans sa politique de rémunération globale », confirme Anna Potvin, CRHA, conseillère principale et cheffe de la pratique rémunération chez Normandin Beaudry. 
De son côté, Stéphane Paré, directeur principal talent et rémunération au cabinet Willis Towers Watson, rappelle le principe des « 3 F » pour être heureux au travail : « le foin (la rémunération directe), le fun et la foi (la croyance dans le sens de la mission et des actions) ». Auquel il ajoute un élément supplémentaire : la clarté. 
Il arrive effectivement que les entreprises commettent l’erreur de définir des valeurs dénuées de toute réalité concrète pour les salariés. Qui, par conséquent, ne se les approprient pas. « J’entends certaines entreprises prôner la transparence. C’est bien, mais, au-delà de cette façade, on se rend compte que les employés ne connaissent par exemple ni leur échelle salariale ni leur positionnement au sein de celle-ci. Ce n’est pas cohérent », illustre Guylaine Béliveau, CRHA, directrice des services-conseil rémunération au cabinet Solutions Mieux-être Lifeworks.
« Le pire piège, c’est de prendre une politique de rémunération attrayante d’une autre entreprise et de l’appliquer chez soi. La base, c’est de se connaître avant », certifie Marc-André Malboeuf, vice-président développement de solutions de ressources humaines au Mouvement Desjardins. En tant que coopérative, celui-ci a par exemple opté pour un régime général d’intéressement collectif, illustre-t-il.
La montée de la responsabilité sociale
Aujourd’hui, si ce n’est pas l’entreprise qui prend les devants en matière de responsabilité sociale et d’engagement autour de valeurs fortes, les salariés s’en chargeront eux-mêmes. Soit en la quittant, soit en lui mettant la pression pour impulser le changement. « On le voit très nettement en termes d’équité, diversité et inclusion, notamment auprès des jeunes générations », témoigne Claudio Gardonio, CRHA, associé-directeur de CGC Talent. Marc-André Malboeuf abonde dans le même sens. « On se doit d’être le reflet de la diversité de notre communauté ; cela fait désormais partie des attentes de nos employés et, si on ne le fait pas, cela va jouer contre notre attractivité. »
La responsabilité sociale et la gouvernance des employeurs sont plus que jamais scrutées par leurs équipes. « La majorité du temps, la pression vient des questions des employés en assemblée annuelle ou des candidats lors des processus de recrutement », remarque Mélinda Bastien, ASA, conseillère principale en gestion d’actif et en régime d’épargne et experte de l’équipe d’investissement durable institutionnel chez Normandin Beaudry. 
Selon elle, contrairement aux idées reçues, les rendements des investissements ou des placements dans des fonds responsables sont équivalents, voire supérieurs à ceux des véhicules d’investissement plus traditionnels. « Il n’y a pas à faire de sacrifice pour se doter de bonnes pratiques », assure Mélinda Bastien. Une raison supplémentaire de se pencher sur la responsabilité sociale de son entreprise.