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Rémunération globale: bien-être social, émotionnel et physique

Kévin Deniau|Publié le 06 avril 2022

Rémunération globale: bien-être social, émotionnel et physique

Les demandes d’entreprises pour se faire accompagner dans la mise à jour de leur politique de rémunération globale atteignent un sommet. (Photo: 123RF)

RÉMUNÉRATION GLOBALE. « Ma boîte de courriels explose, c’est du jamais vu en termes de charge de travail ! » Mélissa Pilon, CRHA, experte-conseil et fondatrice du cabinet Rémunération & Co n’en revient pas. Avec l’inflation, la pénurie de main-d’œuvre et les changements provoqués par la pandémie, les demandes d’entreprises pour se faire accompagner dans la mise à jour de leur politique de rémunération globale atteignent un sommet.

Il faut dire que la discipline s’est grandement complexifiée au cours des dernières années, et ce, dans ses trois composantes majeures : la rémunération directe (le salaire et les bonis, notamment), la rémunération indirecte (les avantages sociaux, par exemple les assurances collectives ou les congés) et les conditions de travail (climat de travail, reconnaissance, conciliation travail et vie personnelle, développement de compétences, etc.). 

Dans un marché où le rapport de force est devenu largement favorable aux employés, ces questions sont en effet cruciales pour la plupart des entreprises de la province. « On n’a jamais vu autant de personnes changer d’emplois », constate Anna Potvin, CRHA, conseillère principale et cheffe de la pratique rémunération chez Normandin Beaudry.

« Évidemment, c’est sur la rémunération directe que la pression est la plus grande », indique Marc Chartrand, CRHA, associé et conseiller principal chez PCI rémunération-conseil. « Mais c’est sur les autres dimensions qu’il est possible d’être le plus créatif et de fidéliser ses salariés à long terme », complète Claudio Gardonio, CRHA, associé-directeur de CGC Talent.

 

Priorité au bien-être sous toutes ses formes

Selon les experts consultés, les pratiques en matière de rémunération globale sont bouleversées par deux grandes tendances émergentes. « Une dimension qui se situe de plus en plus au centre de la rémunération globale des employés », confirme Stéphane Paré, directeur principal talent et rémunération au sein du cabinet Willis Towers Watson. Il est ici question de bien-être social, émotionnel et physique. 

Les traditionnelles deux semaines de congés payés semblent bien trop maigres aujourd’hui pour de nombreux salariés, par exemple. Un recruteur relate avoir vu une commis qui, en changeant d’emploi, a exigé de conserver les quatre semaines de vacances qu’elle avait obtenues chez son ancien employeur. Une demande qui aurait été inenvisageable il y a quelques années.

« Les vacances ne sont pas un avantage, mais un droit », affirme de son côté Louis-François Poiré, directeur de la rémunération globale à Ubisoft. Chaque employé du studio de jeux vidéo a d’emblée le droit à six semaines de vacances annuelles, et le congé parental offert par l’entreprise a également été bonifié en fin d’année dernière. 

« Les entreprises cherchent également à réduire le stress économique de leurs employés par le biais d’éducation à la littératie financière, de conseils en placements ou d’applications leur permettant de suivre l’évolution de leurs finances personnelles », ajoute Guylaine Béliveau, CRHA, directrice des services-conseil rémunération au cabinet Solutions Mieux-être Lifeworks. 

Sans oublier le volet gestion de carrière, formation et développement personnel, qui contribue aussi au bien-être en emploi. « Le coaching ou le mentorat sont des sujets qu’il est de plus en plus fréquent d’aborder avec des candidats en entretien d’embauche », assure Claudio Gardonio.

 

L’ère de la flexibilité

La deuxième tendance observée tient en un mot: flexibilité. Autrement dit, la faculté d’une organisation de faire preuve de souplesse dans ses pratiques de ressources humaines (RH) afin de favoriser l’autonomie ainsi que l’équilibre entre la vie privée et le travail des employés. « On ressent une accélération incroyable de la prise de conscience dans les organisations sur cette notion depuis deux ans », certifie Geneviève Provencher, fondatrice du cabinet Flow, spécialiste de la flexibilité en entreprise.

Pour cette experte, la clé est de sonder les besoins des employés, puis de fonctionner par projets pilotes, afin de mesurer le taux de satisfaction de ces derniers et l’adéquation avec le modèle d’affaires de l’entreprise. C’est ce qu’a fait la PME de Lanaudière Maisons usinées Côté quand elle a décidé de mettre en place la semaine de quatre jours, il y a quelques mois. Et le Mouvement Desjardins, au moment de fixer sa politique de retour au travail (quatre jours à la maison et un au bureau par semaine). « On a écouté les salariés pour savoir ce qu’ils souhaitaient », indique Marc-André Malboeuf, vice-président au développement de solutions en ressources humaines de la coopérative financière.

Le concept de flexibilité peut aussi bien toucher les avantages sociaux, le style de leadership, l’aménagement des bureaux, voire les horaires ou le lieu de travail. L’entreprise montréalaise Gsoft a par exemple autorisé l’été dernier ses 300 salariés à travailler depuis un pays étranger un maximum de 150 jours par an. Une quarantaine ont déjà profité de cet avantage. « Certains nouveaux employés nous ont dit que cela avait contribué à leur envie de venir travailler chez nous », confie Frédérick Poulin, son directeur de la rémunération globale. Une preuve que la créativité et l’empathie peuvent favoriser la fidélisation.

 

Et si le sentiment d’appartenance, l’attachement à la mission ou l’adhésion aux valeurs d’une entreprise faisaient partie de la rémunération globale ? À observer les nouvelles tendances en la matière, la question n’est pas si saugrenue. 
Maisons usinées Côté, une PME manufacturière de la région de Lanaudière, croit que oui, et cela lui a permis de remporter le Laurier d’or dans la catégorie « Pratiques RH gagnantes » de la part de la Chambre de commerce et d’industrie de la MRC de Montcalm en novembre dernier.
Parmi les initiatives récompensées, la création d’une « boutique Côté » comprenant différents items et outils aux couleurs de l’entreprise. Tous les ans, les salariés se voient doter de 100 points qu’ils peuvent utiliser pour y acheter les objets de leur choix. En cas de bon coup durant l’année, ils peuvent aussi obtenir des points supplémentaires. « On vient d’y ajouter des manteaux, à la demande des employés, qui aiment porter des vêtements à l’image de la compagnie », assure Kamie Richer, responsable de la culture au sein de la PME.
Le sentiment de fierté des salariés se manifeste également lors des « Campus Côté », des défis sportifs ou solidaires annuels lancés pour faire « vivre » les valeurs de l’entreprise. Il peut s’agir d’une course à pied de 24 heures en équipe ou encore d’une collecte de fonds pour offrir des sacs à dos remplis de fournitures scolaires à 120 enfants démunis. « Cette implication dans notre région donne aux employés la sensation de pouvoir faire une différence, renforce l’esprit d’équipe et allume des étoiles dans les yeux des candidats », confie Kamie Richer.
Aller au-delà des valeurs de façade
« Les valeurs d’une organisation doivent en effet se refléter dans sa politique de rémunération globale », confirme Anna Potvin, CRHA, conseillère principale et cheffe de la pratique rémunération chez Normandin Beaudry. 
De son côté, Stéphane Paré, directeur principal talent et rémunération au cabinet Willis Towers Watson, rappelle le principe des « 3 F » pour être heureux au travail : « le foin (la rémunération directe), le fun et la foi (la croyance dans le sens de la mission et des actions) ». Auquel il ajoute un élément supplémentaire : la clarté. 
Il arrive effectivement que les entreprises commettent l’erreur de définir des valeurs dénuées de toute réalité concrète pour les salariés. Qui, par conséquent, ne se les approprient pas. « J’entends certaines entreprises prôner la transparence. C’est bien, mais, au-delà de cette façade, on se rend compte que les employés ne connaissent par exemple ni leur échelle salariale ni leur positionnement au sein de celle-ci. Ce n’est pas cohérent », illustre Guylaine Béliveau, CRHA, directrice des services-conseil rémunération au cabinet Solutions Mieux-être Lifeworks.
« Le pire piège, c’est de prendre une politique de rémunération attrayante d’une autre entreprise et de l’appliquer chez soi. La base, c’est de se connaître avant », certifie Marc-André Malboeuf, vice-président développement de solutions de ressources humaines au Mouvement Desjardins. En tant que coopérative, celui-ci a par exemple opté pour un régime général d’intéressement collectif, illustre-t-il.
La montée de la responsabilité sociale
Aujourd’hui, si ce n’est pas l’entreprise qui prend les devants en matière de responsabilité sociale et d’engagement autour de valeurs fortes, les salariés s’en chargeront eux-mêmes. Soit en la quittant, soit en lui mettant la pression pour impulser le changement. « On le voit très nettement en termes d’équité, diversité et inclusion, notamment auprès des jeunes générations », témoigne Claudio Gardonio, CRHA, associé-directeur de CGC Talent. Marc-André Malboeuf abonde dans le même sens. « On se doit d’être le reflet de la diversité de notre communauté ; cela fait désormais partie des attentes de nos employés et, si on ne le fait pas, cela va jouer contre notre attractivité. »
La responsabilité sociale et la gouvernance des employeurs sont plus que jamais scrutées par leurs équipes. « La majorité du temps, la pression vient des questions des employés en assemblée annuelle ou des candidats lors des processus de recrutement », remarque Mélinda Bastien, ASA, conseillère principale en gestion d’actif et en régime d’épargne et experte de l’équipe d’investissement durable institutionnel chez Normandin Beaudry. 
Selon elle, contrairement aux idées reçues, les rendements des investissements ou des placements dans des fonds responsables sont équivalents, voire supérieurs à ceux des véhicules d’investissement plus traditionnels. « Il n’y a pas à faire de sacrifice pour se doter de bonnes pratiques », assure Mélinda Bastien. Une raison supplémentaire de se pencher sur la responsabilité sociale de son entreprise.