Dominic Danis, président et cofondateur de Moov AI (Photo: courtoisie)
RÉMUNÉRATION GLOBALE. Chez Agendrix, éditeur d’un logiciel de gestion du personnel, la transparence salariale est une conséquence directe de la pandémie. Pour diminuer l’incertitude élevée au sein des équipes durant cette période, la PME de Sherbrooke a décidé de communiquer ouvertement en interne ses revenus mensuels et ses performances commerciales. « Cet effort de transparence a été tellement apprécié que l’on a décidé de faire perdurer cette pratique et de l’élargir aux salaires », explique son PDG et cofondateur Mathieu Allaire.
La jeune entreprise a souhaité commencer cette démarche en affichant les salaires dans ses offres d’emploi. Objectif : éviter de perdre du temps avec des candidats qui ne seraient pas en phase avec les conditions proposées. « D’autant que nous trouvions qu’indiquer “salaire compétitif” ne correspondait pas à notre valeur corporative de No Bullshit », précise Matthieu Allaire. Pour y parvenir, Agendrix a dû toutefois créer au préalable des échelles salariales normées en interne.
Chaque département est désormais doté d’une échelle comprenant huit niveaux, en fonction des tâches et des responsabilités, associés à une fourchette salariale. Cette initiative a un effet direct sur la fidélisation. « On avait des salariés présents depuis plusieurs années qui se questionnaient sur leur futur. Désormais, ils ont une perspective. Certes, cela amène plus de discussions, mais c’est plus sain et il y a moins de non-dits », confie Mathieu Allaire. En huit ans d’existence, l’entreprise d’une cinquantaine d’employés n’a connu que deux départs volontaires.
Un équilibre à chercher en permanence
L’effet de la divulgation des rémunérations sur les affichages de postes ? « Elle a augmenté le nombre de candidatures, et les intérêts se sont tout de suite alignés avec les candidats, témoigne l’ancien développeur passé par l’école d’entrepreneurship de Beauce. Désormais, c’est à peine si on effleure le sujet du salaire en entrevue ».
La difficulté est toutefois de réussir à préserver l’équilibre interne. Par exemple, si un salarié est recruté à un salaire au-dessus de la fourchette… l’ensemble de l’équipe est augmenté ! « On réfléchit à deux fois avant ce type d’embauche du fait de l’impact en conséquence sur la masse salariale », sourit Mathieu Allaire, qui, par ailleurs, a fixé un salaire minimum de 50 000 $ annuels dans l’entreprise, peu importe le poste, par souci d’équité sociale.
« Quand tu adoptes ce type de pratique, tu n’as pas besoin d’aller dans la transparence totale. Les gens comprennent qu’ils ne vont pas se faire avoir chez nous », poursuit-il. Certaines entreprises ont opté pour cette position extrême. Aux États-Unis, l’application de gestion des médias sociaux Buffer dévoile les noms et les salaires de l’ensemble des salariés… sur une page librement accessible en ligne. « Moins tu as accumulé de dettes au niveau de tes pratiques RH moins tu as de choses à cacher et plus il sera facile de passer à la transparence », complète Mathieu Allaire.
Chez Moov AI, la transparence totale
Au Québec, l’entreprise de consultation spécialisée dans l’intelligence artificielle Moov AI a fait le choix de la transparence intégrale : tout le monde connaît le salaire de tout le monde. « C’est une façon de s’assurer que l’entreprise est la plus juste et équitable possible », assure son président et cofondateur, Dominic Danis.
Autre originalité : ce sont des comités diversifiés de quelques collègues choisis par l’employé qui décident annuellement des salaires. « Le savoir donne le pouvoir. Moi, je veux distribuer le pouvoir donc il faut que les gens sachent et soient responsabilisés », ajoute l’entrepreneur adepte de l’holocratie [une gestion basée sur une gouvernance très horizontale].
Depuis 2018, date de création de la firme montréalaise, un seul candidat s’est retiré du processus en apprenant cette pratique. « Cette culture d’entreprise [agit comme] un filtre qui nous prive de certains candidats. Mais c’est une bonne nouvelle : on s’assure que les futurs salariés savent dans quoi ils s’embarquent, » relativise Dominic Danis. Le dirigeant n’y voit que des avantages. « Le véritable choix, c’est de laisser les discussions se dérouler dans le corridor ou d’être prêt à les avoir pour vrai », insiste-t-il.
Pour Dominic Danis, il sera de plus en plus difficile de garder les gens dans l’ignorance. « Dans 20 ans [divulguer les salaires] sera la norme », glisse-t-il, sourire en coin.