Marc-André Campagna, PDG et fondateur de Gaiia (Photo: courtoisie)
RÉMUNÉRATION GLOBALE. À travers le monde, de plus en plus de pays, d’états et de provinces mettent en place des politiques incitant à la transparence salariale. Avoir accès aux salaires proposés directement dans les offres d’emplois, savoir combien son collègue est payé — ou même son voisin — aurait pour effet de diminuer, voire d’enrayer, les iniquités. Voici comment.
En 2022, Gaiia a dévoilé le salaire de tous ses employés en interne. L’objectif avoué ? « Notre mission a toujours été de créer une égalité d’opportunités, ce qui passe par une équité dans la rémunération. Et nous pensons que c’est en donnant accès à toute l’information, en permettant aux employés de comprendre le contexte, que c’est possible », explique Marc-André Campagna, PDG et fondateur de cette entreprise du domaine des télécommunications s’appelant alors oxio.
En plus de briser la culture du silence, l’entreprise a mis en place des mécanismes pour discuter rémunération de façon ouverte, en se basant sur des données objectives. « Notre directrice marketing est arrivée avec un rapport super étoffé, avec des données claires et précises qui montraient que sa valeur au marché était de 40 000 $ de plus que ce qu’elle gagnait, donne-t-il en exemple. Quand on a constaté notre erreur, on l’a corrigée, parce qu’on voulait la garder avec nous. »
Même situation du côté de Clinia. Dans cette entreprise spécialisée dans la conception de moteurs de recherche destinés au système de santé, pas de cachotteries : les salaires de tout un chacun sont dévoilés en interne, explique Elsa Giguère, responsable des personnes et de la culture. De plus, les salaires à l’embauche sont discutés en équipe. « Cela fait en sorte que personne ne se demande pourquoi son collègue fait plus que lui, car c’est tellement ouvert, c’est tellement honnête, qu’ils le savent déjà. »
Le pouvoir de l’information
Pour Jacques Forest, professeur titulaire à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM, la transparence est « un vecteur de justice », à condition que toutes les conditions soient réunies. « L’erreur, c’est de croire que c’est uniquement le montant de paie qui doit être dévoilé. Or, ce n’est pas le cas. Il faut non seulement savoir qui gagne combien, ce qu’on appelle la justice distributive, mais aussi ce qui explique ces différences, soit la justice procédurale. » L’information doit également circuler librement et les organisations doivent traiter leurs employés avec dignité, ajoute-t-il.
« Rares sont les organisations qui iront jusqu’à dévoiler les salaires de chacun. Or, ce qui importe, c’est que les employés comprennent les mécanismes derrière l’attribution de la rémunération. Plus c’est ouvert, plus les biais vont avoir tendance à s’amenuiser, à disparaître, puisque tout le monde aura accès aux mêmes informations », renchérit Mélissa Pilon, CRHA, experte-conseil en gestion de la rémunération chez Rémunération & Co. Toutefois, il ne faut pas brûler les étapes, puisqu’il faut s’assurer que les informations sont bien communiquées et bien comprises par tous.
Ainsi, le simple fait d’entamer une démarche vers plus de transparence a un effet sur l’équité, note Isabelle Thériault, CRHA, directrice culture et talents chez Spiria. « On ne peut pas lever le rideau sur la rémunération si les écarts salariaux ne sont pas corrigés. » Dans cette entreprise du domaine des technologies, les employés ont accès à toutes les échelles, savent où ils se positionnent et pourquoi. Ce qui permet de poser un regard plus objectif sur la performance, tant pour les travailleurs que pour les gestionnaires, explique-t-elle. Une façon de s’assurer que les salaires sont justes et équitables.
Le grand écart
Les effets de la transparence ne sont pas que théoriques : plusieurs études montrent que cela fait fondre, voire disparaître, les disparités, relate Mélissa Pilon. Elle cite une recherche de Payscale menée auprès de 400 000 travailleurs américains et publiée en 2023. Cette dernière montre que, quand un homme gagne 1 $, une femme touche 0,83 $. Si on compare des emplois équivalents, qui requièrent le même niveau d’études par exemple, le salaire des femmes grimpe à 0,99 $. « La différence peut sembler minime, mais sur 40 ans, cela représente 70 000 $ », note la spécialiste. L’étude montre aussi que cet écart entre les genres s’efface dans les organisations pratiquant la transparence.
D’ailleurs, plusieurs pays dans le monde ont décidé de légiférer en ce sens pour améliorer l’équité au sens large, c’est-à-dire entre les hommes et les femmes, mais aussi pour les personnes issues de minorités visibles ou les autochtones, ajoute-t-elle. C’est le cas en Norvège, où tous les salaires sont publics ou à New York, alors que les échelles salariales doivent maintenant être ajoutées aux offres d’emploi. Une vingtaine d’états américains ont ou sont en voie d’adopter une réglementation dans ce sens, précise Mélissa Pilon. Une tendance qui pourrait bien traverser la frontière, selon elle.