Revers de la médaille à afficher des informations salariales sur ses offres d’emploi : la limitation du bassin de candidats. (Photo: 123RF)
RÉMUNÉRATION GLOBALE. Mettre en place une politique de transparence salariale n’est pas aussi simple et idyllique que cela en a l’air. « Donner trop d’informations n’est pas toujours bénéfique et mal les communiquer peut créer plus de problèmes qu’auparavant », indique Anna Potvin, CRHA, associée et cheffe de pratique rémunération chez Normandin Beaudry. À en croire les experts interrogés par Les Affaires, une plus grande transparence est globalement positive, mais le chemin qui y mène est jalonné de pièges pour une organisation.
De nombreux avantages
La plupart des Québécois pensent que la transparence salariale améliore l’équité de genres (63 %) et l’équité envers les minorités visibles (56 %), d’après une étude menée par Léger pour Talent.com en septembre dernier. Logique : une entreprise aura beaucoup de difficultés à masquer et justifier des discriminations en matière de rémunération si une grille est ouvertement divulguée en interne comme en externe. D’ailleurs, 70 % des employeurs canadiens ont constaté une diminution des écarts salariaux après avoir affiché les salaires dans leurs affichages de poste, d’après une enquête d’Indeed.
La transparence salariale favoriserait la fidélisation et la motivation du personnel, selon certains experts. « Avoir accès aux perspectives salariales aide les employés à se projeter et donc à s’inscrire dans le futur d’une organisation », plaide Didier Dubois, CRHA, cofondateur de HRM Groupe, spécialiste en marketing RH.
Pour Marc Chartrand, CRHA, associé du cabinet PCI rémunération-conseil, « cela amène un sentiment de justice qui favorise grandement la mobilisation et l’engagement. »
Afficher une fourchette salariale sur ses offres d’emplois génère des candidatures plus nombreuses et plus qualitatives, fait valoir Yannick Paradis, directeur des ventes de Talent.com. « Les postulants arrivent en entrevue en connaissance de cause, ce qui évite les potentielles déconvenues sur le sujet de la rémunération et donc les pertes de temps, autant pour l’employeur que le candidat », affirme-t-il.
Points de vigilance
Revers de la médaille à afficher des informations salariales sur ses offres d’emploi : la limitation du bassin de candidats. « On peut se priver de candidatures de qualité qui ne vont pas postuler, car leurs exigences sont au-delà de la fourchette indiquée. Alors qu’il aurait été possible de revoir le rôle et l’enveloppe de rémunération au cours de l’entrevue », confie Mélissa Allard, CRHA, conseillère en rémunération de PCI rémunération-conseil.
Autre effet pervers sur le recrutement : l’organisation peut également perdre en attractivité si les salaires proposés sont moins compétitifs que le marché. « Les secteurs où les taux horaires sont plus faibles qu’ailleurs doivent encore plus mettre en valeur les avantages non monétaires offerts », indique Émilie Pelletier, cofondatrice de HRM Groupe. Sans parler de la divulgation d’informations aux concurrents.
Enfin, d’après une étude d’Indeed, 42 % des employeurs au Québec révèlent ne pas indiquer le salaire d’un emploi de peur de créer de la jalousie entre les employés. « Il ne faudrait pas en effet que des mesures de transparence créent de la gêne ou déprécient les interactions entre collègues », prévient Didier Dubois. Sachant qu’au Québec l’argent reste un sujet tabou : 40 % salariés de la province éprouvent un inconfort à parler salaire avec leurs collègues selon l’étude de Talent.com.
Penser la transparence comme un continuum
Pour Anna Potvin, il y a deux questions à se poser sur le sujet : jusqu’où l’organisation est-elle prête à aller et qu’est-ce que les employés veulent savoir ? La transparence salariale est en effet plus à considérer comme un spectre. De la divulgation partielle d’une fourchette dans les offres d’emplois jusqu’au dévoilement public total des salaires d’une organisation, il existe une multitude de nuances.
« De mon expérience, les employés sont surtout intéressés par la justice procédurale », constate la conseillère de Normandin Beaudry. C’est-à-dire qu’ils veulent moins savoir « qui reçoit combien ? » que « Quels sont les critères qui justifient de recevoir une telle somme ? ». Il n’est pas choquant d’apprendre qu’un collègue perçoive plus… si les principes de sa rémunération sont connus et justes. « Si on saute des étapes et que l’on ne prend pas le temps de clarifier ses processus, de bien préparer ses gestionnaires et de planifier sa communication, c’est là où la transparence peut causer plus de dommages que de bénéfices, poursuit Anna Potvin. Il faut bien faire le ménage de sa maison au préalable ! »