Photo : Alexander Mils pour Unsplash.com
BLOGUE INVITÉ. Appelons-le Stéphane (mais ça pourrait tout aussi bien être Sophie). Stéphane est le directeur général d’une usine. Ses responsabilités sont nombreuses, tout autant que ses heures de travail. Et que dire des nuits d’insomnie quand il pense encore à l’entreprise familiale!
Ça fait des années qu’il accumule la frustration : c’est le temps que ça sorte. Il adore sa cousine Sophie, qui est commis comptable, et son frère Alex, qui est chef d’équipe. Toutefois, ça commence à le faire suer que tous les trois reçoivent le même montant en dividendes. Il croit que les responsabilités et tout le stress qui les accompagne, ç’a un prix. Il pourrait gagner bien plus s’il travaillait dans une autre usine.
Ouf! Pas facile d’aborder ce sujet tabou. Comment faire pour crever l’abcès sans menacer l’harmonie familiale?
LA chose à savoir
Peu importe le sujet tabou qui traîne depuis des années, on ne doit pas s’attendre à le régler en une seule discussion. Jamais. Ça prend toujours plusieurs rencontres et le nombre dépend de l’ampleur qu’a prise le non-dit pour les membres de la famille en affaires.
Oui, tout le monde sait qu’il y a un problème. Et tout comme la poussière, elle ne disparaît pas comme par magie lorsqu’on la balaie sous le tapis. De plus, chacun a sa propre perception de la situation. L’un voit une pieuvre rose, alors qu’un autre voit une grenouille verte… à moins que ce soit la fée Clochette ou un ours.
Alors, qu’est-ce qu’on fait? Je vous propose une démarche en six étapes.
Étape 1: Bien se préparer
Retournons à Stéphane. La dernière chose qu’il souhaite, c’est blesser des gens qu’il aime parce que lorsqu’il a osé parler, c’est sorti tout croche. Il prend le temps de noter comment il se sent par rapport à la situation et pourquoi il veut que les choses changent.
Il discute du sujet avec des membres de son réseau qui sont dans une situation semblable à la sienne et il consulte aussi son coach pour l’aider à aborder le sujet de façon bienveillante.
Étape 2: Prendre son courage à deux mains
Eh oui, ça demande beaucoup de courage pour discuter de rémunération. C’est normal d’avoir peur. Peur d’être jugé. Peur d’être incompris. Peur d’être rejeté.
C’est le cas de Stéphane, qui n’a aucune idée de la façon dont la famille va réagir.
Étape 3: Choisir un lieu sécuritaire pour aborder le sujet
Sortir du garde-robe un sujet tabou comme le salaire, ça ne se fait pas dans la salle de repos ni au brunch du dimanche (vous risquez de ne pas bruncher pendant longtemps!).
Oh que non! Il faut choisir le bon moment et le bon lieu. Bien souvent, dans une famille en affaires, une partie sera traitée en famille, une autre dans l’entreprise et une autre entre actionnaires. L’avantage, c’est qu’on traite chaque partie dans une ambiance différente.
Dans la partie… |
… on prend soin de… |
Famille |
L’épanouissement des membres, comment chacun se sent par rapport à la situation. On va, par exemple, définir les critères relatifs au salaire et aux dividendes. Le nombre d’heures travaillées? Le niveau de responsabilité? La valeur du rôle de la personne qui assure l’harmonie dans la famille? |
Entreprise |
L’entreprise. On va, par exemple, revoir les descriptions de poste et les échelles salariales. |
Entre actionnaires |
Des risques et de la rentabilité. En fait, c’est le filet de sécurité qui s’assure que la famille et l’entreprise ont bien fait leur travail. |
Étape 4 : S’attendre aux points de vue différents
On ne vit malheureusement pas dans un monde de licornes. C’est certain que tout le monde aura SA version de la situation.
« Une grande partie du succès de l’entreprise repose sur mes épaules. Un tel fardeau, ça se paie. »
« Mon travail est aussi important qu’un autre. Pourquoi je serais payé moins. C’est son problème s’il fait passer l’entreprise avant ses enfants. »
« Pourquoi j’attendrais 15 ans avant de recevoir des dividendes. C’est aujourd’hui que j’ai envie de profiter de la vie. »
« Je suis prêt à gagner moins pour faire croître l’entreprise que je veux léguer à la prochaine génération. »
Vous voyez, ce que je vous disais? Une pieuvre rose, une grenouille verte, la fée Clochette et un ours. Même situation, quatre perceptions différentes.
Étape 5: Définir une vision commune de la situation
Cette étape est cruciale. Impossible de passer à la prochaine avant que tout le monde partage la même vision de la situation. Tout le monde s’entend pour dire qu’on parle d’une grenouille verte. Merveilleux!
Étape 6: Trouver des solutions
À partir de ce moment, tout devient facile : on passe en mode solution. Stéphane et sa famille font un remue-méninge pour faire émerger plusieurs solutions. Ils consultent aussi un spécialiste de la rémunération qui leur présente d’autres pistes en fonction des meilleures pratiques dans leur secteur d’activités.
Ensuite, la famille propose une solution, que l’entreprise et les actionnaires devront entériner.
Ainsi, tout le monde y trouve son compte. Et en prime, on a « détaboutisé » un énorme tabou.
Cet article porte sur les salaires, puisque c’est la principale cause de conflit dans les familles en affaires. Mais les mêmes étapes s’appliquent à n’importe quel non-dit ou tabou. Pensons au parcours qu’un membre de la famille doit faire pour obtenir un poste de haute direction, aux rencontres annuelles ou bien à la transparence par rapport aux avantages octroyés aux membres de la famille…
En terminant, rappelons-nous que la bonne entente, ça se prévoit, ça se cultive et ça s’entretient. On a avantage à se dire les vraies affaires au fur et à mesure… au lieu d’attendre que le presto saute. Quand on n’est pas apparenté, on peut toujours aller travailler ailleurs. Mais dans une famille en affaires, est-ce qu’on veut vraiment risquer de s’éloigner de ses parents, de ses petits-enfants, de ses oncles et tantes, de ses cousins et cousines? Personne ne le souhaite.