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Brique Recyc:  bâtir un monde meilleur en faisant de bonnes affaires

Marie-Pier Frappier|Édition de Décembre 2024

Brique Recyc:  bâtir un monde meilleur en faisant de bonnes affaires

Tommy Bouillon et son équipe auraient pu simplement fabriquer puis vendre des machines qui recyclent les vieilles briques. Toutefois, leur prise de conscience environnementale leur ont fait choisir le chemin de la location d’appareils. (Photo: courtoisie)

RESPONSABILITÉ ET INNOVATION SOCIALES. Le président fondateur de Maçonnerie Gratton, Tommy Bouillon, n’a pas seulement innové avec le recyclage de briques, mais aussi avec un modèle d’affaires qui vise à briser des habitudes néfastes pour l’environnement.

Scandalisé par le fait que les vieilles briques aillent au dépotoir, l’entrepreneur spécialisé dans la maçonnerie traditionnelle a investi un tout nouveau créneau depuis 2021 en créant une machine portative qui nettoie les briques usagées sur les chantiers, une innovation qui fait maintenant le tour de la planète. Pour commercialiser cette technologie unique au monde, il a fondé Brique Recyc.

« Seulement cette année, on a dépassé le cap des quatre millions de briques traitées, dit-il en entrevue. En plus du Québec et de l’Ontario, on est présents aux États-Unis et en Europe. »

« On ne fournit pas à la demande, car le parc immobilier vieillit partout, ajoute-t-il. Les besoins sont énormes. On est freinés par notre propre capacité, mais on l’augmente. »

L’entrepreneur explique que ses marchés de prédilection se trouvent dans le nord de la planète. À Montréal et Toronto au Canada ; à Chicago, Boston, Baltimore et Detroit au sud de la frontière ; et dans des pays européens comme le Danemark et la Belgique, où la brique est répandue.

Une stratégie d’affaires innovantes

Tommy Bouillon et son équipe auraient pu simplement fabriquer, puis vendre des machines qui recyclent les vieilles briques en enlevant le mortier qui les entoure. Toutefois, leur prise de conscience environnementale leur ont fait choisir un autre chemin, celui de la location d’appareils.

« Je trouve que cela n’avait aucun bon sens de construire et de vendre des machines qui vont finir par briser et se ramasser au dépotoir, mentionne le dirigeant. C’est le modèle classique de ceux qui veulent te forcer à changer d’équipement parce que cela ne se répare pas. Je me suis braqué contre ce modèle économique. »

Il a donc décidé de créer un modèle novateur pour l’expansion internationale d’un produit d’exception. « La location n’existait pas pour un tel type d’outil, mais on a réussi grâce à l’appui audacieux de Desjardins, qui a su adapter son financement, mentionne le patron. Desjardins est aussi allé solliciter Exportation et développement Canada, avec qui on a un partenariat fantastique. »

L’homme d’affaires explique que cette stratégie est contraignante pour la trésorerie à court terme, car une location ne rapporte pas autant qu’une vente, mais qu’elle se révèle payante à long terme.

« Cela nous donne du pouvoir face à la concurrence future, car une fois l’appareil rentabilisé, tu peux te permettre des prix plus bas, croit-il. Tu as une marge de manœuvre. »

Les machines sont ainsi louées à l’année à des entrepreneurs qui font de gros projets, mais elles devraient être à l’avenir disponibles pour de plus petits, et même pour des particuliers.

Puisque Brique Recyc reste propriétaire de ses machines, elle a intérêt à les concevoir pour qu’elles soient les plus résistantes possible, un autre geste sensé environnementalement. Une pratique qui plaît aussi aux clients, car un bris sur un chantier, c’est du temps perdu et de l’argent gaspillé.

Gagner le cœur des travailleurs

Si cette machine a pu s’imposer dans les chantiers, c’est parce qu’elle a été conçue en pensant à ceux qui allaient l’utiliser, soit les travailleurs. Heureusement, Tommy Bouillon et son associé connaissent le terrain.

« C’était pensé en fonction du travailleur, car s’il ne l’acceptait pas, cela aurait échoué, fait-il valoir. Au début, il ne comprenait pas. Il faut dire que le premier prototype n’était pas aussi intuitif que notre appareil de quatrième génération. De 2021 à 2024, la sensibilité à l’environnement a également évolué. Les mentalités changent. »

Par exemple, les machines d’aujourd’hui sont moins lourdes et moins bruyantes qu’aux débuts, et sont plus rapides.

Dans le milieu plutôt traditionnel de la construction, vendre l’idée d’une machine pour recycler la brique n’a pas été facile. Tommy Bouillon a même dû faire appel à l’illustratrice Élise Gravel pour créer une bande dessinée pour expliquer l’initiative de Brique Recyc. « Au début, j’étais un peu ridiculisé, confie-t-il. Le changement est difficile à accepter. »

Dans un domaine où les normes sont nombreuses, comme en ce qui concerne la santé et sécurité au travail, ainsi que les règles syndicales, il a dû faire preuve de patience. « Il ne faut pas sous-estimer le temps lorsqu’on innove, croit-il. C’est un détour de cinq ans que j’ai fait. C’est dur sur la famille et les gens autour de toi. On doit s’entourer d’une bonne équipe. »

Le jeu en a valu la chandelle, car il a non seulement développé de nouveaux débouchés commerciaux, mais il a également rehaussé le prestige de Maçonnerie Gratton. « On était reconnus pour avoir des standards élevés, mais cela nous a fait connaître pour des valeurs sociales et environnementales », ajoute-t-il.

Le don de briques

Afin qu’aucune brique n’aboutisse dans un site d’enfouissement dans la région de Montréal, Tommy Bouillon a aussi fondé Web-Recyc en 2023 pour ceux qui doivent en poser de nouvelles. Il s’agit d’un service gratuit de cueillette de vieilles briques. Web-Recyc s’assure de les récupérer, puis de les remettre à neuf pour les revendre. En plus des bénéfices environnementaux, cela contribue à préserver le patrimoine urbain en conservant d’anciennes briques en circulation.

« En partenariat avec Architecture sans frontières Québec, un reçu pour un don de charité est même remis au propriétaire qui offre ses briques, note-t-il. On devient le Tinder de la brique ! »

Cette initiative, qui a obtenu un coup de pouce de Recyc-Québec, a demandé un investissement important de 1 million de dollars. « On est capables de traiter 40 000 briques par mois avec Web-Recyc, mentionne le patron. C’était cependant logique pour moi de résoudre cette aberration qui consiste à jeter. »

Pas à court de défi, Tommy Bouillon songe même à récupérer le vieux mortier que ses machines enlèvent des briques. « L’économie circulaire, c’est sans fin, car le mortier peut être réutilisé par d’autres entreprises qui la valorisent », juge-t-il.

Avec toutes ses initiatives, cette PME montre que les entreprises québécoises sont capables de construire un monde meilleur tout en faisant de bonnes affaires.

« Notre modèle, c’est l’avenir », résume-t-il tout simplement.