De l’agriculture et de l’aquaculture dans le désert avec Leedana
Emmanuel Martinez|Édition de Décembre 2024La démarche de Leedana profite non seulement à ceux qui veulent cultiver des légumes et élever des poissons de manière économique dans des régions très inhospitalières, mais aussi aux populations avoisinantes. (Photo: courtoisie)
RESPONSABILITÉ ET INNOVATION SOCIALES. Pas évident de cultiver des légumes dans le désert, surtout avec très peu d’eau. Et l’élevage de poissons avec ça ? C’est probablement un mirage. Toutefois, la jeune pousse montréalaise Leedana rend tout cela possible grâce à une surprenante ingéniosité.
Lancée par Hassan Elrakhawy en 2021, la start-up a réussi à faire pousser des tomates cerises, des herbes aromatiques, du chou frisé et d’autres légumes tout en produisant du tilapia dans le désert égyptien, à une quarantaine de kilomètres du Caire. Le Montréalais d’origine égyptienne explique qu’il a peaufiné une méthode développée par un Américain il y a une cinquantaine d’années.
Le principe est assez simple. Il suffit d’abord de construire une serre qui abrite aussi un bassin rempli d’eau dans lequel on élève des poissons. On utilise ensuite de cette eau dans laquelle baignent les poissons pour nourrir le sol où les plantes pousseront. « Cette eau contient de l’ammoniaque qui provient des déjections des poissons, souligne le jeune homme de 24 ans qui a immigré au Québec à l’âge de 13 ans. Elle se transforme en nitrites dans le sable, qui abrite naturellement des bactéries. Cela sert de nourriture pour les plantes qui poussent et produisent des légumes. »
La beauté de ce procédé, c’est que le sable spécialement choisi pour ce type de culture n’absorbe que très peu l’eau, tout en la filtrant. Amenée à l’extrémité de la serre par des tuyaux à partir du bassin, elle coule dans des tranchées de sable d’où elle est partie. Débarrassée de son ammoniaque, cette eau devenue propre revient dans le bassin. Elle sera plus tard réutilisée pour nourrir de nouveau les plantes dans cette boucle vertueuse.
« C’est une solution simple technologiquement et à faible coût, fait-il valoir. On maximise la conservation de l’eau. Par exemple, dans notre serre en Égypte, on recycle 12 millions de litres d’eau par année. On ne doit rajouter que de deux à huit litres par mois selon la période de l’année si on commence avec un réservoir de 100 litres. La seule eau qui est perdue, c’est en raison de l’évaporation. »
Économie locale
Ne nécessitant pas d’énormes investissements, la démarche de Leedana profite non seulement à ceux qui veulent cultiver des légumes et élever des poissons de manière économique dans des régions très inhospitalières, mais aussi aux populations avoisinantes.
« On offre un approvisionnement local et à bas prix à des restaurants et à des épiceries, note Hassan Elrakhawy. On évite les frais de transport et les émissions de carbone, et on permet aux gens de la région de bien se nourrir à peu de frais. »
Le jeune entrepreneur a tenté sa première expérience à Pointe-Claire, sur l’île de Montréal, en 2021, en cultivant des tomates cerises sur du sable acheté ici. Puis, une serre a été créée en Égypte en janvier 2022. Un autre établissement pilote sera érigé à Tulum, au Mexique, au début de l’an prochain.
« Cette nouvelle installation sera en quelque sorte notre vitrine pour percer en Amérique du Nord, dit-il. On veut aussi s’étendre ailleurs dans les pays du golfe Persique, comme aux Émirats arabes unis et en Arabie saoudite ainsi que dans d’autres régions désertiques. »
Vendre son savoir-faire
L’objectif de Leedana n’est pas de devenir un producteur de légumes et de poissons dans les déserts du monde entier, mais de vendre son expertise et sa technologie pour que les fermiers locaux de régions arides puissent l’adopter. La start-up a donc créé une application qui explique comment s’y prendre. C’est-à-dire des renseignements sur quel type de sable utiliser, quel légume choisir, la taille des bassins et le nombre de poissons nécessaires en fonction de la superficie cultivée, etc.
« J’espère qu’il y aura environ 300 fermes basées sur la sabloponie dans le monde d’ici trois ans », soutient-il.
Hassan Elrakhawy affirme que l’achat d’alevins et la nourriture pour les faire grandir constituent les principales dépenses d’un projet. Mais le jeu en vaut la chandelle. « Pour chaque kilogramme de nourriture pour les poissons, on produit au total 6 kg de nourriture en légumes et en poissons par année, mentionne-t-il. Si notre serre produit 10 000 kg de nourriture, 8000 kg seront des légumes et 2000 kg du poisson. Le rôle de l’animal, c’est de fournir des nutriments aux plantes. »
Face à la désertification croissante de la planète, aux besoins alimentaires de nombreuses populations, aux impératifs de produire en libérant le moins de carbone possible, Leedana a dans son assiette une idée qui risque de germer dans les déserts du monde entier.