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FIFBM: la diversité est «un atout concurrentiel»

Leïla Jolin-Dahel|Édition de Décembre 2024

FIFBM: la diversité est «un atout concurrentiel»

Selon la fondatrice du Festival international du film black, l’inclusion permet de gagner des parts de marché et de stimuler la créativité à l’interne. (Photo: courtoisie)

RESPONSABILITÉ SOCIALE. En débarquant à Montréal depuis son Haïti natale il y a une vingtaine d’années, l’actrice, productrice, entrepreneuse et philanthrope Fabienne Colas ne s’imaginait pas devoir défoncer des portes et ainsi paver la voie pour faciliter l’inclusion des personnes issues de la diversité. Portrait de celle qui a fondé et qui dirige le Festival international du film black (FIFBM) de Montréal et pour qui la diversité représente un atout à ne pas négliger pour le milieu culturel et celui des affaires.

Le 10 août dernier, Fabienne Colas a remporté le prix Viola Desmond, remis chaque année par le Salon international de la femme noire. Elle est aussi devenue plus tôt cette année la première personne née en Haïti à être décorée d’un doctorat honorifique de la Faculté des beaux-arts de l’Université Concordia. De l’aveu de Fabienne Colas, le fait de recevoir cette distinction dépasse « tous ses rêves les plus fous ». « C’est extraordinaire, parce que je ne sais pas qui a proposé mon nom pour ce prix. Même quand on ne s’en rend pas compte, il y a des gens qui apprécient le travail qu’on fait », se réjouit celle qui a créé en 2005 la Fondation Fabienne Colas, dont la mission est de promouvoir la diversité et l’inclusion dans le milieu culturel au Canada et à l’étranger.

En posant ses valises dans la métropole québécoise il y a 20 ans, Fabienne Colas était loin de se douter qu’elle y trouverait, non sans embûches, une terre d’adoption. Actrice dans son pays natal, celle qui rêvait au départ de briller sous les feux de la rampe à Hollywood s’est fait convaincre par une amie du Saguenay–Lac-Saint-Jean de s’installer le temps de quelques mois dans la Belle Province. « Elle m’avait persuadée que la transition serait moins prononcée [si je venais] d’abord temporairement au Québec avant d’aller en Californie », se souvient-elle.

C’est en essayant de dénicher des contrats en tant qu’actrice qu’elle s’est butée à de premiers obstacles. « Malheureusement, chaque fois, le système culturel montait la barre très haut et je n’ai jamais vraiment pu auditionner comme il le fallait, déplore-t-elle. À l’époque, ils indiquaient “ethnie, bienvenue” pour montrer qu’on pouvait auditionner pour un rôle quand on n’était pas blanche. »

L’idée de créer un événement consacré au cinéma haïtien a germé après qu’elle eut reçu un énième refus de la part de festivals québécois d’en inclure dans leur programmation. « Dans mon désespoir et ma frustration, je me suis dit que Montréal avait besoin d’un autre festival, a-t-elle constaté. Parce que si quelqu’un comme moi, avec tout le bagage que j’avais en Haïti, n’était pas capable d’ouvrir une porte, imagine ce que ce devait être pour quelqu’un qui en était à ses premières armes. »

Ainsi est né le Festival du film haïtien de Montréal, plus tard rebaptisé le Festival du film black de Montréal.

Briser les barrières

Depuis qu’elle a fondé le FIFBM, Fabienne Colas promeut l’inclusion de la diversité dans les arts, devant comme derrière la caméra. « À l’époque, ce concept dérangeait. Et moi, j’aimais beaucoup chambouler le système, le statu quo et briser les barrières qui existaient, se souvient-elle. Vingt ans plus tard, je peux dire qu’on a vraiment fait beaucoup de chemin. »

Pour Fabienne Colas, les valeurs d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI) passent en premier lieu par la sensibilisation des équipes dirigeantes à cette réalité. Selon elle, certaines entreprises peinent encore à concevoir les avantages que représente l’inclusion. « Ce n’est pas de la charité. C’est un atout concurrentiel qui vous fera non seulement gagner des parts de marchés, mais qui va aussi stimuler la créativité à l’interne et amener des innovations. C’est sûr que si on est plusieurs à penser outside the box, on a une avance sur les compétiteurs, souligne-t-elle. Quand je me vois reflétée dans une entreprise, une émission, je me sens entendue, je m’identifie et j’en parle à mon entourage. »

Fabienne Colas cite en exemple les institutions financières canadiennes qui, selon elles, sont des pionnières en matière d’EDI. « Elles ont compris depuis bien longtemps qu’il fallait que leurs équipes soient représentatives de leur clientèle. Ils savaient que la dame haïtienne voulait faire affaire avec quelqu’un qui s’exprime en créole. C’est la même chose pour les Portugais, les peuples asiatiques, etc. Et ça, ça fidélise une clientèle », observe-t-elle.

Les jeunes générations sont d’ailleurs plus sensibles au concept d’EDI. « Alors, si tu es de la vieille garde, à un moment donné, cette nouvelle génération ne consommera plus les produits de ton entreprise », fait-elle valoir.

Le milieu des affaires a également son rôle à jouer en matière philanthropique, spécialement dans le domaine artistique, croit-elle. « Les activités culturelles contribuent à l’éducation, à la cohésion sociale. Ça a aussi un impact économique, parce qu’on crée des emplois, à la fois pour les travailleurs culturels et pour les artistes », plaide-t-elle.

La Fondation Fabienne Colas a récemment fait l’acquisition du théâtre Cartier, à Montréal, afin de permettre aux artistes issus de la diversité de disposer d’un espace de diffusion. « C’est un bâtiment qui existe depuis près de 100 ans et c’est Rose Ouellette, alias La Poune, qui était à sa tête. Maintenant, c’est une femme noire immigrante qui le dirige, et ça, c’est extraordinaire », se réjouit-elle.

Après 20 ans au Québec, rêve-t-elle encore d’Hollywood ? « À présent, ma mission, c’est de créer plus d’espaces culturels indépendants. Depuis que j’ai fondé le FIFBM, j’ai compris que j’avais certainement une contribution à faire ici. »