«C’est toujours difficile de changer un état de fait. Donc, on doit être patient, persévérant, et faire ses devoirs», dit le fondateur et PDG de Communauto, Benoît Robert. (Photo: courtoisie)
RESPONSABILITÉ ET INNOVATION SOCIALES. Rares sont les entreprises qui réussissent à engendrer des changements de comportement profonds qui ont un impact environnemental et économique, mais c’est ce qu’a accompli Communauto.
L’entreprise d’autopartage, fondée en 1994 à Québec par Benoît Robert, qui la dirige toujours, est parvenue à implanter ses services dans les grandes villes canadiennes. Elle compte près de 8000 véhicules, dont plus de la moitié à Montréal. Dans la métropole, 38 % des ménages du Plateau-Mont-Royal et 32 % de l’arrondissement de Ville-Marie y ont recours.
« La portée de Communauto est surtout mesurable dans les quartiers centraux », explique Benoît Robert
en entrevue.
À Québec, l’entreprise partage 414 autos. Elle est aussi présente à Gatineau, Sherbrooke, Trois-Rivières et Victoriaville.
À l’extérieur de la province, elle détient près de 1200 véhicules à Toronto, mais également ailleurs en Ontario, ainsi qu’à Calgary, Edmonton et Halifax. Communauto est même enracinée à Paris avec 219 autos.
« C’est un travail de longue haleine, dit-il. Ça nous a pris dix ans pour réussir à conclure notre première entente de partenariat avec des entreprises et des sociétés de transport public ici au Québec, donc ça démontre à quel point il faut être patient et persévérant. »
Mieux utiliser l’auto
Se décrivant comme un « environnementaliste pragmatique », Benoît Robert n’est pas contre les autos. Toutefois, il estime qu’elles sont trop nombreuses et sous-utilisées lorsqu’elles sont détenues individuellement. De là, la nécessité de les partager pour les optimiser et réduire leur impact environnemental. Cette solution est aussi économique en tenant compte des coûts marginaux d’une voiture pour un conducteur.
« Oui, je voulais changer la société, mentionne-t-il. J’ai lancé Communauto parce que je trouvais que c’était aberrant qu’il y ait autant de voitures. Je désire rétablir ou éliminer le biais défavorable pour l’utilisation des modes concurrents à l’automobile. »
Il a rapidement compris que l’autopartage ne s’imposerait pas de lui-même, mais en combinaison avec d’autres moyens de transport pour ses clients. Avec l’usager en tête qui cherche à se déplacer efficacement, Communauto s’est alliée aux sociétés de transport urbain, au service de partage de vélo comme BIXI, mais aussi à des entreprises de location de voiture et de compagnies de taxis.
« Notre défi est d’essayer de calibrer notre offre, autant tarifaire qu’en termes de positionnement, pour faire en sorte que notre service soit perçu comme une alternative intéressante vis-à-vis de l’utilisation individuelle, poursuit-il. J’ai toujours vu l’autopartage comme une façon d’influencer les choix de consommation des gens, mais sans leur faire la morale. »
Convaincre les élus
Pour réaliser sa vision, Benoît Robert a dû surmonter plusieurs défis. Le premier a été de financer son entreprise. La Caisse d’économie solidaire de Desjardins a été la première institution financière à lui faire confiance. « J’avais fait une étude de marché dans le cadre d’un cours de méthode quantitative à l’université, relate-t-il. Donc, cela m’a permis d’identifier des gens intéressés dès le départ. »
Les fonds nécessaires ont aussi été obtenus par les contributions de 500$ des adhérents. « C’était ce qu’on appelle aujourd’hui du financement collaboratif, mais un peu avant la lettre, souligne-t-il. C’est ainsi que le service a pu croître de façon relativement autonome pendant longtemps. »
Par la suite, les entreprises de crédit-bail ont accepté de financer les véhicules.
Convaincre les élus de faire de la place pour l’autopartage est une tâche qui n’a jamais cessé depuis le début. Que ce soit pour pouvoir louer une partie des espaces de stationnements publics, comme ceux des arénas, ou pour obtenir des vignettes pour la rue, les discussions ont été longues.
« Les règlements ont été faits pour un usage privé de l’automobile, donc on doit faire beaucoup de sensibilisation, explique le patron. Par exemple, on a montré qu’on libère du stationnement avec nos vignettes parce que nos membres n’achètent pas d’auto. Il faut s’appuyer sur des données et démontrer la pertinence de ce qu’on fait. »
Ce pragmatisme guide les relations avec les autorités et d’autres acteurs clés telles les sociétés de transport public et des entreprises privées, comme les compagnies de taxis.
Une « approche positive » est prônée par Benoît Robert. « Ça ne sert à rien d’arriver avec nos gros sabots, de les critiquer ou de les faire mal paraître dans les médias, poursuit-il. Parce que souvent, les gens ne sont pas de mauvaise foi. Il faut réussir à vaincre le mur d’indifférence ou à faire tomber des préjugés que certains peuvent entretenir. »
Il prône donc le sang-froid même si, parfois, il a « l’impression que 30 ans après, il faut réexpliquer les mêmes choses ».
Pour lui, comprendre à la fois les besoins de sa clientèle et les dynamiques politiques municipales constitue une des clés du succès de cette PME.
« Communauto est vraiment une initiative qui émane de la base, même si on est une société par actions, croit-il. On est ancrés dans notre milieu. Donc, pour nous, ça a toujours été important justement de travailler avec les acteurs locaux et de ne pas se les aliéner. »
Cette année seulement, l’entreprise a acheté à peu près 1200 voitures au total à Montréal, un casse-tête pour trouver des endroits où se stationner, surtout en hiver avec le déneigement.
« Ça nous a obligés à faire preuve de créativité, dit-il. C’est toujours difficile de changer un état de fait. Donc, on doit être patient et persévérant, et faire ses devoirs. Cela s’applique dans n’importe quel autre domaine. Parfois, on fait un pas en avant, puis deux pas en arrière. Il ne faut pas se décourager. »