Logo - Les Affaires
Logo - Les Affaires

Se développer au bout du monde

Claude Fortin|Publié le 14 février 2023

Se développer au bout du monde

Quai Sandy Beach, Gaspé (Photo: courtoisie)

RÉTENTION DE MAIN-D’OEUVRE. Malgré tous ses charmes, Gaspé reste éloignée des grands centres urbains. Près de 1000 kilomètres séparent la ville de Montréal. En équivalent routier, ça signifie un peu plus de dix heures de route. Développer un pôle industriel majeur «là où la terre finit» (la signification de Gaspé en langue micmaque) n’était pas gagné d’avance.

«La dernière vague de développement économique à Gaspé est arrivée lorsque le gouvernement de Bernard Landry a décidé de développer le secteur éolien en Gaspésie, au début des années 2000», déclare Daniel Côté, maire de Gaspé. Le taux de chômage avoisinait alors 20%, en raison notamment des difficultés que rencontrait l’industrie des pâtes et papiers et de la fermeture de la pêche à la morue. L’ex-premier ministre péquiste s’était engagé à relancer l’économie de la région.

«Il y avait une vision politique du gouvernement», poursuit le maire. Cette vision consistait à forcer les entreprises qui profiteraient du développement des parcs d’éoliennes en Gaspésie à s’installer sur place pour y fabriquer une partie des composantes de ces moulins à vent géants. Le gouvernement de l’époque faisait le pari que si quelques gros joueurs de l’industrie s’installaient sur le territoire, tout un tissu industriel se développerait autour d’eux. C’est la raison pour laquelle le premier appel d’offres lancé par Hydro-Québec au début des années 2000 imposait que 60% de la valeur de chaque éolienne soit fabriqué en Gaspésie et dans la MRC de Matane. C’est cette condition qui a mené à l’établissement de la danoise LM Wind Power (anciennement LM Glasfiber) à Gaspé, et du fabricant de tours d’éoliennes Marmen à Matane.

 

L’émergence d’une grappe industrielle

Deux décennies plus tard, l’arbre semble porter des fruits. LM Wind Power, propriété de General Electric, termine son second agrandissement depuis sa construction, en 2005. L’usine de pales d’éoliennes fait deux fois et demie sa taille initiale. Elle devrait employer 650 travailleurs en cours d’année. «La vision du gouvernement a permis d’attirer quelques gros joueurs et une sorte de hub formé de gens de la place s’est ensuite développé autour de la filière éolienne sur le territoire», explique Daniel Côté.

L’origine des entrepreneurs prend une importance centrale dans le développement des régions excentriques. «Quand tu viens de la place, tu as envie de rester, il y a un sentiment d’appartenance», soutient Christian Babin, originaire de Bonaventure, dans la Baie des Chaleurs, et président-directeur général de Kuma Brakes, à Gaspé. Son entreprise se spécialise dans la fabrication d’étriers et de plaquettes de frein destinés à l’industrie éolienne. À l’instar de Ganex, une filiale du groupe Ohméga (fondé par Évangéliste Bourdages, un autre pionnier de l’éolien en Gaspésie) qui fait dans le contrôle à distance d’éoliennes, et de Suspendem, qui se spécialisent dans l’entretien d’éoliennes à l’aide de cordages et de plateformes suspendues, Kuma présente la particularité d’être venue au monde à Gaspé.

Christian Babin, président-directeur général de Kuma Brakes. (Photo: courtoisie)

«L’usine d’étriers et de plaquettes de frein que j’ai visitée en Allemagne se trouvait dans un petit village touristique au milieu de nulle part», souligne Christian Babin, l’un des piliers du développement de la filière éolienne en Gaspésie. «Quand tu exportes en Californie, que les pièces partent de Gaspé ou de Montréal ne fait pas une grande différence» poursuit l’entrepreneur et ex-enseignant en entretien industriel au cégep de Gaspé. «La seule chose qui est plus difficile à Gaspé, c’est qu’on est loin des centres de recherche. On ne peut pas y être tout le temps, et ça augmente les dépenses», consent le Gaspésien qui ne changerait cependant pas d’endroit.

 

De l’espace à revendre

Le territoire de Gaspé voisine les montagnes et compte de nombreux plans d’eau qui contraignent son développement industriel. Les rivières York, Dartmouth et Saint-Jean représentent d’ailleurs de véritables petits paradis pour les amateurs de pêche au saumon. Malgré cela, le potentiel de développement industriel reste considérable, selon la ville. Si les parcs de Rivière-au-Renard et de Sandy-Beach approchent de leur saturation en raison des montagnes qui les enclavent, le site des Augustines, où se trouve LM Wind Power, présente un potentiel immense. Ainsi, 106 des 190 hectares du site sont toujours disponibles, et la ville estime que la superficie du parc des Augustines pourrait être multipliée par 20, moyennant l’acquisition de terrains limitrophes.

Le frein principal au développement de Gaspé tient toutefois à tout autre chose que l’espace industriel. Le manque de logements constitue la principale contrainte à son développement économique, soutient la ville qui a levé le pied sur son marketing en matière territoriale pour concentrer ses efforts à convaincre les entrepreneurs immobiliers à construire de nouveaux logements.