Les clients à valeur élevée surestiment-ils leurs connaissances financières?
Jean Décary|Édition de la mi‑octobre 2024(Photo: Adobe Stock)
CLIENTS À HAUTS REVENUS. Des coups de sonde le rappellent épisodiquement – comme un récent sondage mené par les Comptables professionnels agréés (CPA) du Canada, les investisseurs ont généralement tendance à surestimer leurs capacités financières. Mais est-ce aussi le cas pour les individus mieux nantis dits à valeur élevée?
Une étude de Statistique Canada sur les connaissances financières des Canadiens concluait que les différences en matière de connaissances financières étaient plus prononcées, notamment, chez les individus ayant un revenu plus élevé. On pouvait y lire : « Un revenu plus élevé du ménage était associé à des niveaux plus élevés de connaissances financières, peu importe le sexe et l’état matrimonial. »
« Avoir un revenu plus élevé, un plus gros portefeuille ou un meilleur niveau de connaissances financières ne vous protège pas contre les divers biais cognitifs qui existent en investissement », rappelle Vincent Fournier, gestionnaire de portefeuille à Claret, qui précise que ces mécanismes de pensée peuvent altérer le jugement et nuire au processus décisionnel. « Les personnes à valeur élevée vont aussi se buter aux divers biais en investissement. »
Le gestionnaire évoque entre autres cette peur de passer à côté de la saveur du mois, le piège d’investir dans des entreprises parce qu’elles sont de chez nous ou parce qu’elles sont connues, ou le simple appât du gain. « Nonobstant le niveau de connaissances financières, l’erreur peut être fatale en fin de compte. »
« Cette tendance à surestimer ses connaissances ou ses compétences, on la retrouve dans plusieurs domaines », réagit Alexandre Legault, vice-président et gestionnaire de portefeuille chez Allard Allard et associés. « Je lisais d’ailleurs que 73% des conducteurs aux États-Unis estimaient qu’ils conduisaient mieux que la moyenne. »
Il y a une courbe d’apprentissage pour tout le monde en investissement, selon lui. « Le danger c’est que plus tu as du succès, plus cela va te conforter dans tes biais. Il y a des clients qui sont bien nantis, qui ont eu du succès et qui vont présumer que leurs connaissances financières sont plus élevées que ce qu’elles ne sont en réalité ». Il note que les gens ont aussi la vilaine habitude de se rappeler davantage des bons coups que des mauvais. « Il y a une sorte de distorsion de la mémoire. »
« Ce que j’observe dans la pratique c’est que les gens confondent souvent l’actualité financière et connaissances de placement », fait remarquer Vincent Fournier. Selon lui, d’aucuns croient qu’être à l’affût de l’actualité financière augmente de facto leur littéracie financière. « Mais savoir que telle ou telle entreprise a fait une acquisition ne fait pas de toi un expert en finances. »
Martin Lalonde, gestionnaire de portefeuille et président-fondateur de la firme Rivemont, remarque quant à lui que plus importante est la valeur du client, moins celui-ci aura tendance à croire qu’il peut s’occuper lui-même de ses placements.
« Plus important devient alors pour eux le conseiller financier, mais aussi toute l’équipe en périphérie, dont entre autres le comptable et l’avocat. » Il note que ces clients sont par ailleurs bien souvent des entrepreneurs qui ont moins de temps pour s’occuper de leurs placements.
Personne à revenu élevé ou à valeur élevée?
S’il est convenu qu’un salaire élevé contribue à générer de la richesse plus rapidement, il y a une distinction à faire entre le revenu et la richesse.
Comme le mentionnent des auteurs d’un article de Statistique Canada, « si les deux mesures sont reliées, il n’en demeure pas moins que ce lien n’est pas parfait : plus de revenu est susceptible de signifier plus de richesse, mais ce n’est pas toujours le cas. »
Les rédacteurs font le parallèle entre la richesse vue comme un stock et le revenu comme un flux. Ils proposent l’image du robinet (le flux) et de la baignoire (le stock). « Le lien entre le débit du robinet et la quantité d’eau dans la baignoire est évident : plus le premier est élevé, plus le second augmentera rapidement », écrivent-ils.
Mais cela dépend aussi de la capacité des personnes à épargner et à vivre en deçà de leurs moyens. L’écrivain Henry D. Thoreau disait en substance « qu’il était riche parce que ses besoins étaient moindres » [I make myself rich by making my wants few].
Vincent Fournier croit en effet qu’un des dangers qui guette la personne à revenu élevée est de croire que sa capacité à dépenser est illimitée. « Si tu dépenses plus que tu ne gagnes, tu vas t’appauvrir purement et simplement. » Il rappelle qu’il n’est pas rare d’observer des gens avec des grosses maisons et de belles voitures qui, au final, ont accumulé très peu d’actifs.
« Il y a un paquet de personnes qui ont des revenus élevés, mais qui ne mettent pas d’argent de côté. Tu peux avoir un portefeuille important, mais pas relatif au T4. » Autrement dit, certaines personnes, au vu de leur salaire, devraient avoir accumulé un plus gros patrimoine selon Alexandre Legault.