Haute-Gaspésie: quel avenir pour la relève entrepreneuriale en région?
François Robert-Durand|Mis à jour le 27 septembre 2024Anna-Kim Fournier et Pierre-Emmanuel Desrosiers sur la 132. (Photo: François Robert-Durand)
Avec une population en déclin et un âge médian de 56 ans, la Haute-Gaspésie est l’une des régions les plus isolées et économiquement fragiles du Québec. À première vue, cela ne semble pas très encourageant pour la relève entrepreneuriale de s’y installer. Pourtant, certains jeunes entrepreneurs y tentent leur chance et transforment ce contexte difficile en un véritable laboratoire d’apprentissage… même lorsque le succès n’est pas au rendez-vous.
Si les voyages forment la jeunesse, accueillir des vacanciers forge la maturité. C’est ce qu’a appris à ses dépens Anna-Kim Fournier, 36 ans, qui a récemment annoncé la mise en vente de son camping situé à Sainte-Madeleine-de-la-Rivière-Madeleine, une petite municipalité gaspésienne de moins de 300 habitants le long de la route 132, entre Sainte-Anne-des-Monts et Gaspé. Elle était la quatrième propriétaire de ce terrain acquis en 2019.
Pourquoi vendre?
Originaire de Sainte-Madeleine, Anna-Kim n’en était pas à ses premières armes en affaires. Diplômée de l’Institut du tourisme et de l’hôtellerie du Québec (ITHQ), elle a travaillé pendant 15 ans comme restauratrice et gérante d’un restaurant à Montréal. Elle a ensuite décidé de revenir dans son coin natal et d’acheter ce terrain. Ce retour aux sources a permis, selon elle, d’amener un nouveau souffle le long d’une route où, hormis dans les centres urbains du coin, la variété des services offerts est plutôt faible.
«En région, dès que tu fais quelque chose de différent et que tu en parles, tu te démarques facilement.»
Défi de taille pour Anna-Kim: les profits nécessaires pour couvrir les dépenses annuelles (hypothèque, entretien, etc.) peuvent uniquement être générés durant la période estivale, soit environ trois mois. Elle réalise donc rapidement qu’elle doit trouver une façon rapide d’augmenter ses liquidités. Anna-Kim se tourne donc vers le cuisinier Pierre-Emmanuel Desrosiers, un ami et collègue de longue date qui a quitté Montréal en 2019 pour s’installer dans la région afin d’ouvrir le «Shack à guédilles» sur le terrain de camping. Ce restaurant propose des guédilles avec des ingrédients locaux.
Pierre-Emmanuel, 33 ans, n’a pas hésité à tout quitter pour emménager en Haute-Gaspésie et s’investir dans ce projet dès ses débuts en 2019.
«Quinze minutes après être arrivé, je savais que je voulais rester ici», se rappelle-t-il.
Trop peu, trop tard
Malgré une augmentation des revenus grâce du restaurant, l’année 2023 marque un tournant crucial: la date limite du remboursement du Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes — aussi connu sous le nom de «prêt COVID» — arrive à échéance. Selon Anna-Kim, les liquidités supplémentaires générées par le «Shack à guédilles» n’ont pas suffi à éponger la dette tout en couvrant les paiements réguliers.
L’été 2023 était donc le moment fatidique où les dépenses régulières et le prêt COVID doivent être payés. Rien n’y a fait.
«Si on a trois mois de pluie, notre saison est gâchée. L’année dernière, en 2023, c’est exactement ce qui s’est passé.»
Regarder vers l’avenir
Loin de considérer cette expérience comme un échec, Anna-Kim la voit comme un laboratoire d’apprentissage qu’elle applique à son nouveau poste: directrice de la restauration au nouveau bistro du Théâtre de la Vieille-Forge de Petite-Vallée, à une vingtaine de kilomètres de Sainte-Madeleine.
Selon Anna-Kim, c’est grâce à sa réputation acquise en tant qu’administratrice du camping qu’elle a eu cette offre d’emploi. Elle y a d’ailleurs embauché un cuisinier… un certain Pierre-Emmanuel Desrosiers. Ils travaillent donc toujours ensemble, tout en profitant de la relative quiétude qu’offre une paie régulière.
«Ça fait cinq ans que je porte plusieurs chapeaux et je réalise enfin que je n’ai plus envie d’être entrepreneure. J’ai envie de créer, d’être pédagogue, mais plus de gérer une entreprise», dit Anna-Kim.
Elle admet que l’entrepreneuriat l’a beaucoup épuisée, mais lui a aussi permis de grandir sur le plan personnel, professionnel, et de prendre conscience de l’importance de la santé mentale.
Pierre-Emmanuel, qui s’est installé durablement en Haute-Gaspésie, construit une maison avec sa conjointe et leur nouveau-né. Avec une population vieillissante, il souligne la rareté de la relève entrepreneuriale et même la difficulté de trouver des jeunes familles.
«S’installer ici, en Haute-Gaspésie, n’est pas facile. Les occasions favorables sont rares. Notre enfant est le premier Madelinot né ici depuis des années.»
Évolution
Pour Anna-Kim et Pierre-Emmanuel, la fermeture de l’entreprise n’est pas synonyme d’échec, mais d’évolution. «Ça n’a pas été facile, avec beaucoup de remises en question, et nous n’avons pas encore toutes les solutions», avoue Pierre-Emmanuel.
«Mais c’est enrichissant d’apprendre et de sortir grandi d’une telle expérience», dit Anna-Kim, tout sourire, avant d’ajouter: «Il ne reste plus qu’à vendre maintenant!»