Montréal: les restaurants doivent s’adapter à l’inflation
La Presse Canadienne|Publié le 29 octobre 2023La cheffe Dyan Solomon avoue être inquiète pour l'avenir de la célèbre scène gastronomique de la métropole. (Photo: La Presse Canadienne)
Alors que les restaurateurs montréalais sont confrontés à la hausse de leurs coûts d’exploitation et aux délais imminents pour rembourser les prêts qui leur ont été accordés pendant la pandémie, la cheffe bien connue Dyan Solomon avoue être inquiète pour l’avenir de la célèbre scène gastronomique de la métropole.
Selon Mme Solomon, qui est propriétaire de trois restaurants, les loyers abordables de Montréal ont longtemps permis aux chefs d’ouvrir leurs propres restaurants. Et grâce à une économie vigoureuse, les gens avaient l’habitude de sortir manger au restaurant.
Toutefois, à mesure que les loyers augmentent, au même moment que le coût des aliments et de la main-d’œuvre, elle craint que les restaurants indépendants, qui sont devenus la marque de commerce de la scène culinaire montréalaise, ne puissent survivre bien longtemps.
«C’est vraiment triste, mais ça ressemble un peu à ce qui va se passer», a-t-elle mentionné en faisant référence à un monde où il y aurait bien peu d’options entre la restauration rapide et les restaurants gastronomiques les plus dispendieux.
Mme Solomon, qui a ouvert son premier restaurant, Olive et Gourmando, dans le Vieux-Montréal, il y a 25 ans, n’a jamais rien vu de comparable aux augmentations de prix qui sévissent actuellement, qui ont fait grimper le coût de littéralement «tout» entre 20 et 30%.
«Les restaurateurs sont en difficulté, les entreprises sont en difficulté, mais on sait aussi que nos clients sont en difficulté. Donc c’est vraiment difficile d’y trouver son compte.»
La cheffe qui possède également le Foxy, à l’ouest du centre-ville, et le Un Po Di Piu, dans le Vieux-Montréal, s’est bâti une réputation en travaillant avec des fournisseurs locaux.
Elle s’engage à maintenir la qualité de son produit, mais prévient que d’autres restaurateurs pourraient être tentés d’utiliser des ingrédients de moindre qualité pour maintenir leurs prix stables.
Le remboursement des prêts inquiète
Dominique Tremblay, qui est porte-parole de l’Association Restauration Québec, a soulevé que plusieurs de ses membres se sont retrouvés sans les fonds nécessaires pour rembourser les prêts du gouvernement fédéral qui ont été octroyés pendant la pandémie de COVID-19.
Les gens sortent moins et veulent dépenser moins lorsqu’ils le font, a-t-elle indiqué, et le temps pluvieux de l’été n’a fait qu’exacerber le problème.
Ces prêts doivent être remboursés avant le 18 janvier pour que les entreprises puissent bénéficier d’une annulation d’une partie du prêt, une date limite récemment repoussée, alors qu’elle était plutôt le 31 décembre.
«Nous avons perdu 4000 restaurants depuis le début de la pandémie, et il y en aura peut-être d’autres qui vont fermer», a prévenu Mme Tremblay, ajoutant que son organisation souhaite que le délai soit prolongé jusqu’à la fin de 2024.
Malgré les vents économiques défavorables, de nouveaux restaurants ouvrent toujours à Montréal. Andrew Whibley et Pablo Rojas, qui ont récemment ouvert le Bar Dominion, au centre-ville, affirment que leur nouvel établissement a été façonné par le climat économique.
M. Whibley a expliqué que parce qu’ils ont ouvert dans un espace qui avait été occupé par un restaurant fermé pendant la pandémie, ils ont pu économiser plus d’un million de dollars en rénovations. Les deux hommes tentent également de séduire un large marché, avec des prix plus bas et des promotions régulières pour garder leur établissement plein.
«C’est uniquement possible parce que nous avons la chance d’être au centre-ville, où nous savons que nous pourrons atteindre le volume dont nous avons besoin pour joindre les deux bouts, a dit M. Rojas. Mais si vous deviez faire ça à plus petite échelle, je ne suis pas sûr que ce serait possible.»
M. Rojas, qui est également copropriétaire de Provisions, un «steak house», ainsi que d’une boucherie voisine du même nom qui sert des sandwichs, a expliqué que s’adapter à des coûts plus élevés pourrait signifier d’utiliser des coupes de viande moins chères, de servir des portions plus petites et de trouver des moyens d’économiser de l’argent sur les emballages à emporter.
Il a aussi affirmé qu’il aimerait voir le gouvernement fédéral annuler les prêts, et qu’il les considère comme un coût ponctuel nécessaire pour maintenir les entreprises à flot et protéger les emplois.
«En fin de compte, c’est le personnel qui sera perdant. Ce sont des gens qui attendaient une augmentation, qui méritent une augmentation, qui ne l’obtiendront pas parce qu’il n’y a plus d’argent», a déclaré M. Rojas.
Une hausse perceptible
Le journaliste culinaire montréalais J.P. Karwacki a remarqué une hausse des prix sur les menus, ainsi que des restaurants qui s’adaptent en réduisant leurs heures d’ouverture, mais il n’a pas constaté de baisse de la qualité des plats.
Les repas multiservices à prix fixe ainsi que les aliments réconfortants pourraient devenir plus courants sur les menus montréalais, a-t-il indiqué, tout comme les menus plus courts, alors que les restaurateurs cherchent à maintenir un contrôle plus strict de leur inventaire.
Il estime toutefois que manger au restaurant est trop profondément ancré dans la culture montréalaise pour que les gens abandonnent complètement les restaurants.
«On aime aller au restaurant, on aime aller dans les bars, on aime se rassembler. Et je serais très surpris si c’était une chose que nous étions prêts à sacrifier. La question est de savoir comment cela va changer», a-t-il mentionné.
Mme Solomon s’adapte, se tourne vers des menus plus petits qui nécessiteront moins de personnel de cuisine et s’inspire des influences asiatiques pour réduire l’utilisation d’ingrédients de plus en plus chers qui étaient des incontournables de son menu, comme le fromage.
Même si les salles à manger semblent revenues à la normale après les jours sombres de la pandémie, peu de restaurateurs ont réussi à se remettre financièrement des fermetures, a-t-elle dit.
«Je pense que l’hypothèse est que tout va bien maintenant, et ce n’est vraiment pas vrai, il faudra très longtemps pour se remettre de ce genre de désastre financier pour les restaurants.»
Par Jacob Serebrin