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RPA: quand la sécurité risque de provoquer une crise

Maxime Bilodeau|Mis à jour le 13 juin 2024

RPA: quand la sécurité risque de provoquer une crise

Katty Gauthier et Marilyn Laprise, deux Doréennes qui ont racheté Domaine des Colibris, une RPA située au cœur du village de La Doré, au nord du Lac-Saint-Jean. (Photo: courtoisie)

RPA. L’obligation d’installer des gicleurs pourrait planter le clou dans le cercueil de centaines de petites résidences privées pour aînés (RPA) qui, pourtant, s’efforcent de chouchouter leurs pensionnaires.

Les idées les plus simples sont parfois les meilleures. Parlez-en à la vingtaine de résidents autonomes et semi-autonomes du Domaine des Colibris, une RPA située au cœur du village de La Doré, au nord du Lac-Saint-Jean. Au quotidien, ils côtoient des chats qui circulent librement dans les chambres et les aires communes.

Ces félins habitent dans le sous-sol de la résidence, où une chatterie opérée par Opéraction Boules de poils a été spécialement aménagée. L’organisme recueille des chats errants qui sont ensuite confiés en adoption à des familles d’accueil. Entretemps, les bêtes — et, parfois, leur portée de chatons — font le bonheur de la maisonnée.

L’initiative de zoothérapie a d’ailleurs été récompensée lors des prix Distinction 2022 du Regroupement québécois des résidences pour aînés (RQRA). Cela en dit long sur les copropriétaires de l’endroit, Katty Gauthier et Marilyn Laprise, deux Doréennes qui ont racheté la RPA en 2020.

« L’ambiance se veut familiale, raconte Katty Gauthier. C’est notre volonté depuis le premier jour. » Les élèves de l’école primaire attenante entretiennent par exemple le jardin de la RPA dans le cadre de leur cours de science, ce qui les amène à côtoyer les pensionnaires.

Créer un tel milieu de vie a cependant demandé des investissements considérables. La toiture a été refaite, tout comme la plomberie, l’isolation et la cuisine, qui a été rouverte. « Nous n’y serions pas arrivés sans les nombreuses subventions gouvernementales disponibles pour les RPA », admet Marilyn Laprise.

Heureusement, le bâtiment construit dans les années 1960 a toujours été muni d’un système de gicleurs. La résidence à but lucratif n’a donc pas eu à se conformer à la réglementation imposée par Québec après la tragédie de L’Isle-Verte, survenue il y a une décennie et lors de laquelle 32 aînés ont perdu la vie.

Depuis 2015, toutes les RPA de dix appartements et plus doivent être obligatoirement munies de gicleurs — celles en deçà de ce nombre peuvent bénéficier d’une exemption, selon les cas. L’échéance pour procéder à la mise à niveau, originalement fixée en 2020, a cependant été repoussée à deux reprises : à la fin décembre 2022, puis au 2 décembre 2024.

En cause : des travaux coûteux à réaliser, et ce, malgré un programme d’aide financière du gouvernement du Québec. Une recherche au Registre des résidences privées pour aînés permet de constater que ce sont surtout les plus petites RPA de moins de 50 logements qui peinent à satisfaire à ces exigences.

« L’imposition de normes plus strictes en matière de sécurité incendie a contribué à la fermeture des [petites] RPA, lit-on dans une analyse de l’École nationale d’administration publique publiée en décembre. Aux déboursés occasionnés par l’installation de gicleurs […] s’ajoutaient des dépenses récurrentes d’inspection, d’entretien et de réparation de ces systèmes. »

 

Dévitalisation régionale

Ce qui a tout l’air d’une impasse a en ce sens alimenté la vague de fermetures de RPA dans les dix dernières années. Le RQRA désigne d’ailleurs l’installation de gicleurs comme la première décision gouvernementale « ayant contribué à l’explosion du coût d’usage et au déficit d’exploitation des RPA », rapporte un communiqué de presse de l’organisme diffusé à la fin mars.

« Il faut réfléchir à des alternatives. Sinon, l’hécatombe va se poursuivre et tout le Québec va perdre au change », affirme Stéphane Dion, président du cabinet-conseil Paradigme Stratégies, qui fournit des services d’accompagnement stratégique au RQRA depuis près de 15 ans.

Même si les centaines des RPA qui mettent la clé sous la porte représentent dans les faits un petit nombre d’appartements, le phénomène n’en demeure pas moins préoccupant. En effet, les turbulences traversées par cette industrie sont aussi synonymes de dévitalisation des régions du Québec, où se concentrent surtout les petites RPA.

« Nous assistons à un déplacement des unités en RPA des villages vers les grands centres urbains, confirme Stéphane Dion. Ce faisant, nous déracinons des aînés de leur milieu de vie, ce qui provoque au passage de cas de décompensation physique et cognitive assez lourds. »