Avec l’instauration du travail hybride, les gestionnaires devront assurer l’équité entre les membres de leur équipe qui travaillent au bureau et ceux à la maison. (Photo: 123RF)
SANTÉ AU TRAVAIL. À une époque qui paraît aujourd’hui préhistorique, la plupart des gens travaillaient à plein temps au bureau. Déroutés au début par l’expérimentation forcée du télétravail, nombreux sont ceux qui en reconnaissent certains avantages aujourd’hui. Au cours des prochains mois, le travail hybride demandera de nouvelles adaptations à tous, notamment aux gestionnaires.
« Les gestionnaires sont la courroie de transmission entre les attentes de la direction et celles des employés, en particulier les cadres de premier niveau », souligne Julie Cloutier, professeure au Département d’organisation et ressources humaines de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Ainsi, ceux que l’experte appelle les « employés-sandwichs » présentent un taux élevé de détresse psychologique, soit jusqu’à 20 points de pourcentage de plus que la moyenne des travailleurs québécois, selon plusieurs études réalisées en 2020.
La préservation de la santé mentale des cadres est d’ailleurs un enjeu essentiel, d’après l’enquête sur le travail hybride menée dans 25 pays par le groupe Adecco en septembre 2021. Plus de la moitié des jeunes gestionnaires ont déclaré souffrir d’un épuisement professionnel et 51 % des Canadiens sondés ressentaient l’angoisse du retour au bureau.
Alain Gosselin, professeur honoraire à l’École des dirigeants de HEC Montréal, craint que les entreprises sous-estiment les enjeux du travail hybride en le considérant comme un retour partiel à la normale. En perte de confiance à l’égard de leur capacité à bien gérer leurs employés, les cadres devront relever de nombreux défis.
De nouveaux défis pour les gestionnaires
Avec l’instauration du travail hybride, les gestionnaires devront assurer l’équité entre les membres de leur équipe qui travaillent au bureau et ceux à la maison. Or, il est très difficile de combiner deux formes de supervision — en personne et à distance — qui imposent des habiletés et des défis différents, tels que l’intégration des nouveaux employés et le contrôle de la prestation de travail, estime Alain Gosselin. « Lorsque votre équipe est sur place, vous pouvez observer des comportements et des résultats », souligne le professeur. À distance, il faut notamment tenir compte de l’environnement de travail et de l’accès aux ressources de chacun.
Les gestionnaires auront également plus de mal à détecter les problèmes de santé mentale chez leurs collègues, prévient Alain Gosselin. « Au bureau, on peut lire l’informel et observer l’humeur des gens. À distance, c’est beaucoup plus dur », constate celui qui anticipe une hausse des problèmes d’isolement. Cependant, grâce à ce mode de travail, les cadres bénéficieront d’une souplesse géographique accrue pour recruter. « Le travail hybride permettra d’aller chercher des marchés de main-d’œuvre auxquels nous n’avions pas accès auparavant », prévoit le professeur. Attention cependant à la gestion des fuseaux horaires, qui pourrait occasionner des difficultés supplémentaires.
Un encadrement ajusté
Avec le travail hybride, les gestionnaires renoueront également avec des trajets parfois chronophages. Pour Julie Cloutier, leurs supérieurs devront ainsi ajuster la pression sur les délais, source de stress majeure. « Souvent, les gestionnaires doivent composer avec des dates limites de remise extrêmement urgentes. Toutefois, beaucoup s’aperçoivent plusieurs jours après que leur patron n’a toujours pas revu leur travail », constate-t-elle.
La professeure préconise également un processus plus collaboratif au sein des équipes et davantage de reconnaissance. « Les gestionnaires sont de grands oubliés ; les employeurs les voient comme des espèces de rocs sans émotion qui ont toutes les réponses », déplore-t-elle. Marianne Plamondon, associée chez Langlois avocats à Montréal, observe d’ailleurs que les nouvelles générations de cadres « veulent être reconnues pour leur valeur ajoutée ».
Des clés pour s’organiser
Si la décision de ramener les employés au bureau relève du droit de gérance de l’employeur, Marianne Plamondon croit que la pénurie de main-d’œuvre doit mener à des discussions individuelles avec les employés. « Il faut s’ajuster à la réalité de chacun et faire preuve d’une flexibilité comme nous n’en avons jamais connu en matière d’organisation du travail », recommande l’avocate.
Surtout, les dirigeants et gestionnaires ne doivent pas craindre de se tromper. « Nous sommes dans un processus innovant qui peut comporter plusieurs essais jusqu’à ce que l’on ait trouvé un équilibre », rassure Julie Cloutier.
Pour sa part, Alain Gosselin conseille d’établir des règles claires sur le lieu et le temps de travail. « Il y a par exemple des moments où l’on s’attend à ce que tout le monde soit disponible », suggère le professeur, qui recommande de préserver des pauses entre les réunions virtuelles.
Une saine organisation passe également par l’identification des tâches les plus appropriées pour le travail à la maison et au bureau, et ce, sans oublier de fournir aux employés les ressources matérielles nécessaires au travail à domicile. « Les gens se plaignent souvent de l’envahissement de leur travail dans leur vie personnelle », déplore Alain Gosselin, pour qui il faudra continuer d’apprendre à gérer cette frontière.