«Un point commun existe entre l’augmentation du stress, l’anxiété de ratage (Syndrome FOMO), la difficulté de planifier et d’utiliser convenablement son temps, des problèmes de sommeil et d’insomnie, l’impatience, la frustration, la méfiance, la déception en se comparant aux autres, et l’impossibilité de déconnecter: le téléphone intelligent.» (Photo:123RF)
Un texte de Kévyn Gagné, CRIA, M. Sc., directeur des ressources humaines, Franklin Empire
COURRIER DES LECTEURS. J’aimerais vous dire que le monde va bien, donc que les travailleurs vont bien, mais je vous mentirais. À vol d’oiseau, tout semble relativement stable, mais dès que nous entrons dans les entreprises et que nous analysons la scène, nous comprenons rapidement qu’il y a beaucoup d’instabilité parmi les employés. Depuis bientôt près de deux décennies que je dis que le merveilleux monde du travail est malade.
Nos comportements en société sont symptomatiques, pourquoi en serait-il autrement dans un environnement de travail contrôlé?
Selon les données d’un rapport de Benefits Canada, rapport rendu public le 18 mars 2024, 69% des employés sondés ont affirmé que leur santé mentale s’était dégradée en 2023, surtout qu’un sondage mené le 16 octobre 2023 nous apprenait que plus de 71% des femmes canadiennes affirmaient que l’inflation avait une répercussion directe et dommageable sur leur santé.
Ces jours-ci, il suffit d’ouvrir un journal ou d’écouter la radio pour être informé qu’un chauffeur d’autobus a été tabassé pour le plaisir, que quatre femmes circulant dans la rue se sont fait agresser à la matraque télescopique, qu’un chauffeur de taxi est entre la vie et la mort, ou qu’un préposé à la STM est dans le coma après avoir omis de rendre la juste monnaie de la transaction.
Est-ce que le monde est malade? Je ne suis pas docteur, je ne peux donc pas répondre. Mais je peux dire que le monde ne va pas bien.
Il y a dix ans, un candidat essuyait un refus à la suite d’une mauvaise entrevue, et nous n’en entendions plus parler. Maintenant, en plus de devoir justifier la raison du refus en mettant des gants blancs, tout bon recruteur doit être prêt à recevoir une pluie d’insulte et d’injure par courriel et même sur les lieux du travail. Quoique nous ayons le courriel, l’adresse, le numéro de téléphone, et l’adresse IP des harceleurs, la gêne n’existe plus. Tout le monde peut librement et en toute impunité s’exprimer, ou du moins croit qu’il peut le faire. Parfois, la justice peut intervenir et calmer les ardeurs de certains, mais ici, nous parlons d’une intervention sur des millions de commentaires ostentatoires, racistes, misogynes, sexistes, et parfois tout simplement contre la race humaine…
Il y a cinq ans à peine, mon programme d’aide aux employés (PAE) était quelque peu utilisé, mais était connu de mes employés. Oui, la nouvelle génération exprime plus librement et aisément ses sentiments et est en mesure de tracer une ligne entre un stress acceptable et un climat de travail malsain les rendant malades, tant mieux, mais le taux d’utilisation de mon PAE a explosé et ce ne sont pas principalement les plus jeunes qui l’utilisent.
Depuis 3-4 ans, je constate que mes coûts en assurance-médicaments et mes coûts liés aux soins de santé ont explosé. Heureusement que mes employés peuvent en profiter, mais derrière cet avantage offert aux employés se cachent un problème profondément ancré, et pour lequel beaucoup d’employés semblent s’être résigné à accepter cet état d’esprit et cet état des choses comme un peu parfois s’habituer à la roche qui est dans notre soulier.
Oui, en tant que professionnel RH, j’ai toujours eu à faire des interventions disciplinaires et à mettre en place des plans de recadrement ou des plans d’amélioration. Je m’étais habitué, et c’était peut-être là un piège, à ce que les employés acceptent le plan, non pas dans la joie et l’agresse, mais acceptent le plan dans le meilleur intérêt de tous en agissant de façon professionnelle. Aujourd’hui, les occasions où un employé s’en prend verbalement à son supérieur ne sont pas rares et les cas d’employés impulsifs démissionnant sur-le-champ ne sont plus rares non plus.
Oui, tout le monde dit que nous avons la mèche courte depuis la COVID, mais quand même, une sacrée différence existe entre un comportement d’impatience s’étant amplifié et faire tenir des insultes et des menaces de mort pour une futilité que même deux enfants dans une cour de récré étant en mesure de régler… jusqu’à tout récemment.
Un point commun existe entre l’augmentation du stress, l’anxiété de ratage (Syndrome FOMO), la difficulté de planifier et d’utiliser convenablement son temps, des problèmes de sommeil et d’insomnie, l’impatience, la frustration, la méfiance, la déception en se comparant aux autres, et l’impossibilité de déconnecter: le téléphone intelligent.
On sait que le feu brûle, ça ne nous empêche toutefois pas de nous asperger d’essence après avoir fait le plein de briquets pour allumer et entretenir la source du feu.
Nous connaissons une des principales sources de tous nos maux, mais il semblerait que dans la balance des avantages et des inconvénients, la dégradation de notre santé n’est pas encore considérée comme un inconvénient.
Donc, plutôt que de s’en faire, on consomme des antidépresseurs, des anxiolytiques, des antipsychotiques et des psychostimulants. Nous sommes toujours malades, mais ça se voit moins. On intériorise et refoule davantage, et tant que l’employé n’explose pas, rare sont les gestionnaires qui vont s’en plaindre ou intervenir.
De toute façon, dans bien des cas, les gestionnaires ne se portent guère mieux.