Dominic Gagnon, président fondateur de Connect&GO (Photo: Martin Flamand)
SANTÉ MENTALE. «L’entrepreneuriat est un métier dangereux.» Le président fondateur de Connect&GO, Dominic Gagnon, ne passe pas quatre chemins pour dresser le constat de la santé physique et mentale des entrepreneurs.
Ayant lui-même songé à mettre fin à ses jours à la suite de déboires en affaires, celui qui tient un blogue pour Les Affaires a coécrit un livre à ce sujet intitulé Et si l’entrepreneuriat rendait fou ?. Il estime qu’il est essentiel de parler de ce sujet encore tabou selon lui, pour démystifier l’image de l’entrepreneur héros qui trouve une solution à tous les problèmes.
« Je ne sais pas si je suis devenu fou en étant entrepreneur ou si je suis devenu entrepreneur parce que je suis fou, affirme-t-il mi-sérieusement en entrevue. Je crois qu’il y a un peu des deux, car je pense que personne de sensé ne va se lancer en entrepreneuriat, notamment en constatant le faible taux de survie des entreprises et des salaires moins élevés. »
Afin d’appuyer son cri d’alarme, il souligne des statistiques américaines qui montrent que les probabilités d’hospitalisation et de suicide sont deux fois plus fortes chez les entrepreneurs que dans la population générale.
Selon une étude réalisée l’an dernier pour la Banque de développement du Canada (BDC), 45 % des propriétaires de PME sondés au pays ont déclaré avoir des ennuis de santé mentale, soit une hausse de sept points de pourcentage par rapport à 2022. La proportion d’entrepreneurs étant satisfaits tous les jours de leur santé mentale a baissé, déclinant de 72 % à 64 % en un an.
« Le problème des entrepreneurs, c’est que quand ils tombent, ils tombent beaucoup plus bas et ça peut aller beaucoup plus loin, avec moins de filet de sécurité par rapport à d’autres catégories socioprofessionnelles », note Florence Guiliani, professeure en entrepreneuriat à l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke et chercheuse affiliée au Pôle entrepreneuriat —HEC Montréal.
En période de crise
Les difficultés financières constituent la principale cause de stress pour les entrepreneurs, selon Luis Cisneros, professeur en entrepreneuriat et innovation à HEC Montréal, codirecteur du Pôle entrepreneuriat — HEC Montréal et de La base entrepreneuriale. La hausse des taux d’intérêt et des coûts de production a accru les charges financières des PME. Les problèmes des chaînes d’approvisionnement et la pénurie de personnel provoquent aussi des maux de tête aux entrepreneurs.
Marie-Josée Gagnon, fondatrice et présidente de la firme montréalaise de communications Casacom, a vécu une période pénible à la suite d’une crise de liquidité en 2014.
« Quand l’entreprise ne va pas bien, c’est particulièrement difficile, confie-t-elle. Je me suis sentie très seule. Tu as la tête sous l’eau, mais tu ne peux pas parler. Si tu t’ouvres à une personne, elle te dit que cela va bien aller, mais elle ne connaît pas l’étendue du problème. »
« En tant que seule propriétaire, le stress est énorme quand ça va mal, ajoute-t-elle. Ma santé mentale a été malmenée. À l’intérieur de moi tout s’écroulait, mais je ne pouvais pas le montrer. Je vivais du découragement, du pessimisme et un manque d’énergie. Ma batterie était à terre. »
La pression est beaucoup plus forte pour un entrepreneur que pour un PDG d’une grande entreprise, estime Alaric Bourgoin, professeur agrégé en management à HEC Montréal et codirecteur du Pôle D.
« Je vois une nuance entre la solitude du PDG et celle de l’entrepreneur, mentionne-t-il. Ce dernier porte plusieurs chapeaux, tandis que le PDG est un gestionnaire qui compte sur de nombreux spécialistes pour s’occuper des principales tâches de l’entreprise. L’entrepreneur peut généralement moins s’appuyer sur son équipe, qui est plus petite. Il peut aussi tout perdre si cela ne fonctionne plus, contrairement au PDG qui, de surcroît, est très bien rémunéré. »
Un apprentissage
Ce poids d’avoir tout sur les épaules, Marie-Josée Gagnon l’a ressenti. « Parce que je n’avais pas la solution à mon problème et j’avais toute la responsabilité, la crainte de perdre l’entreprise était immense. »
La patronne a vécu cela durant environ un an. Marie-Josée Gagnon a pu passer à travers en s’ouvrant à son conjoint et à deux proches collaborateurs. Le tout s’est finalement bien terminé pour elle.
« Il y a eu quelque chose d’extrêmement positif dans la solitude et l’épreuve, avoue-t-elle. Il y a eu un apprentissage exponentiel. Ce que j’ai vécu me rend tellement résiliente et consciente de facteurs qui pourraient me conduire dans une situation pareille. Je sais maintenant voir les signaux financiers qui m’ont amenée dans le pétrin. »
En dépit de toutes les difficultés, Dominic Gagnon souligne les avantages de l’entrepreneuriat comme le sentiment d’accomplissement et de liberté, le fait de prendre ses propres décisions et d’essayer de changer le monde. Il note que malgré leurs idées noires, tous les entrepreneurs qui se sont confiés à lui pour parler de leurs maux sont restés dans la même voie.
« Malgré tout, je continue à dire que l’entrepreneuriat, c’est le meilleur métier du monde ! »