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Les eaux usées: une ressource trop peu exploitée

Sophie Chartier|Mis à jour le 13 juin 2024

Les eaux usées: une ressource trop peu exploitée

Alexandre Latour, président d’Équipe Laurence, et initiateur du projet. (Photo: courtoisie)

SCIENCE, RECHERCHE ET DÉVELOPPEMENT DURABLE. Niché quelque part entre la rivière du Nord et le mont Gabriel, dans le paysage enchanteur des Laurentides, se trouve un bâtiment hébergeant une firme de génie civil qui puise une partie de son énergie au sein d’une ressource inépuisable : les eaux usées. Si le sujet de la cloacothermie est certes peu élégant, il n’en est pas moins fascinant du point de vue du développement durable. Entretien avec Alexandre Latour, président d’Équipe Laurence, et initiateur du projet.

 

Les Affaires: Comment a germé l’idée de la cloacothermie pour votre siège social de Sainte-Adèle ?

Alexandre Latour : Nous, on aime bien appeler ça la « cacathermie », je trouve que ça résume bien de quoi il s’agit, même si c’est pas un très beau terme.

Il faut remonter un peu en arrière, à la pandémie. Équipe Laurence est une firme d’ingénieurs civils qui compte près de 150 employés. En plus de Sainte-Adèle, nous avons des bureaux à Mont-Laurier, Gatineau, Joliette, Bois-Briand et Belœil. La pandémie nous a apporté beaucoup de contrats et nous avons grossi rapidement, ce qui a fait que nous avions besoin de déménager le siège social dans de nouveaux bureaux. On a trouvé ce terrain à Sainte-Adèle, tout près du mont Gabriel, bordé par deux rivières, un très bel environnement. En ingénierie, comme dans pas mal tous les secteurs, on a vraiment un problème de pénurie de main-d’œuvre, donc on voulait aussi construire un endroit le plus attrayant, le plus écologique, possible.

C’est là qu’on a découvert que le terrain se trouvait à côté d’un étang qui reçoit les eaux usées d’environ 500 maisons du secteur. Ensuite, l’eau est acheminée à l’usine de traitement. C’est un bassin assez important qui produit une certaine chaleur, donc on y a vu un gros potentiel énergétique.

L.A.: Comment fonctionne cette technologie ?

A.L.: C’est un système qui n’existait pas au Canada, donc il a fallu le mettre au point à 100 %. On a passé beaucoup de temps à faire nos recherches, à réfléchir à ce projet-là. C’est le même principe qu’avec la géothermie, mais au lieu de puiser l’énergie dans le sol, on va aller le faire à même les eaux usées. C’est un système en boucle fermée : des tuyaux partent du bâtiment et vont chercher de la chaleur dans l’étang. Sous l’eau, le système se divise en 12 tuyaux qui agissent comme un échangeur de chaleur. On envoie là-dedans du glycol, un liquide qui a une très basse température de congélation, qui va chercher la chaleur et la ramène vers l’édifice. Un peu comme un réfrigérateur, mais là, la chaleur est puisée dans les rejets. Ça fait donc presque deux ans que l’on chauffe les bureaux avec ce système-là, alors on est vraiment contents de la réussite de cette idée.

 

L.A.: Quels avantages tire Équipe Laurence de la « cacathermie » ?

A.L.: Comme c’est une installation assez récente, les calculs sont encore approximatifs, mais nous collectons constamment des données pour en connaître l’efficacité. Actuellement, on peut dire que c’est environ 25 % de la facture d’énergie qu’on économise grâce à ce système.

 

L.A.: Peut-on imaginer que la « cacathermie » devienne une innovation accessible à d’autres types de structures ?

A.L.: On veut absolument reproduire le système, on essaie de l’adapter à d’autres modèles, mais il y a plusieurs facteurs à prendre en considération. Par exemple, la construction ne doit pas être à une distance plus grande que 250 mètres de l’étang, sinon ça ne sera pas efficace. Et il faut évidemment un bon volume d’eau souillée, donc monsieur et madame Tout-le-Monde ne peuvent pas installer ça à partir de leur fosse septique pour chauffer leur maison. C’est une démarche assez complexe.

Par contre, on sait qu’il existe autour de 800 étangs d’eaux usées de ce type-là au Québec. On tente de vendre l’idée aux municipalités, parce que les eaux usées, ce sont des infrastructures municipales. Donc si les Villes pouvaient construire des bâtiments en bordure de ces étangs, ça pourrait représenter des gains collectifs intéressants. On ne recommande pas, disons, de mettre une garderie en cloacothermie, parce qu’un étang d’eaux usées, ce n’est pas ce qu’il y a de plus « cute », mais pour un garage municipal, par exemple, ça pourrait être vraiment intéressant.

 

L.A.: En conclusion, une question que tout le monde se pose : est-ce que ça pue ?

A.L.: Il n’y a pas d’odeur, non ! La distance avec l’étang, et le fait que la construction est plus en hauteur par rapport à lui fait qu’on ne sent rien. De plus, c’est important de dire qu’il n’y a pas d’eaux usées qui circulent dans le bâtiment, c’est vraiment le glycol qui voyage. Donc il n’y a pas de désagrément !

 

Cet article a initialement été publié dans l’édition papier du journal Les Affaires du 26 février.